En attendant, parfois, j’aimerais ne pas être moi.

Photo : Arnaud Cathrine, 27 juin 2020       (source)
 

Le bus roulait comme un fou et on a dû sacrément s’accrocher. Les touristes avaient l’air épouvanté. Sauf une mère et son fils. Je les ai bien observés. […] Ils n’arrêtaient pas de rire et c’était étrange comme ils se regardaient. Moi, ma mère ne m’a jamais regardé comme ça. On aurait dit deux amants.  […] J’en ai parlé à Luis discrètement. Il les a regardés à son tour et il a dit :
- Ça ne doit pas être facile pour eux.
- À quoi tu vois ça ?
- À leur rire. Ils rient comme les gens qui ont vécu des choses douloureuses
. (pp. 12-13)

Je l’ai raccompagné dans l’Alfama et nous avons marché sans rien dire, comme pour apprivoiser dès maintenant le silence qui suivrait son départ. (p. 16)

Je suis descendu vers les docks. Il y avait plein de gens dans les bars. Tous heureux de vivre. Enfin, c’est toujours ce qu’on se dit quand on a le cafard. (pp. 16-17)

Moi, je te dis que je la retrouverai, et je serai dédommagé de ma putain de vie, tout le monde doit être dédommagé un jour ou l’autre pour toutes les choses qu’il a dû endurer, pour tout l vide qu’il a au creux du ventre. C’est ce qu’on appelle les miracles, la justice, le destin, il y a plein de mots pour dire ça. (pp. 25-26)

Pourquoi se met-on à être gentil quand on est triste ? (p. 27)

Je sais qu’il ne reviendra jamais à la maison contrairement à ce que dit maman. Il mourra ici.
Mon père est déjà mort.
(p. 41)

Je ne parvenais pas à savoir ce que je ressentais. J’étais triste, ça oui. Mais les idées : en grève. Plus rien ne fonctionnait. Peut-être pour me protéger. Ne pas m’avouer que je venais de faire une chose ridicule et vaine. Ne pas admettre que je ne m’étais jamais senti aussi seul de ma vie. (p. 52)

En attendant, parfois, j’aimerais ne pas être moi. (p. 54)

Il y a un moment où nos rêves deviennent aussi sublimes que notre vie est moche. (p. 69)

Sais-tu à partir de quand la vie change ? Est-ce que ça doit changer en nous avant que le dehors veuille bien être plus clément ? (pp. 69-70)

Le bal, tous ce gens heureux et légers qui dansaient. Miguel, les deux filles, José, et mon pauvre papa planté là avec son air perdu. Je ne savais pas quoi penser, ça me faisait super mal mais je ne parvenais pas à me décider : cette scène était-elle grotesque, triste à pleurer ou belle, plus simplement ? On était tous les trois vivants dans la musique. Peut-être que c’était beau, je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que j’avais envie de chialer comme jamais mais il ne fallait pas. (p. 79)

Je ne pensais pas que la vie pouvait être aussi dure. Et je ne pensais pas que nous, on était aussi forts. (p. 82)


Arnaud Cathrine - Les Choses impossibles (L’École des Loisirs Medium, 2002)

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