Le deuil qui me hante est la chose la plus étonnante qui me soit arrivée dans la vie
Photo of George Dyer, by John Daekin, as found in Francis Bacon's 7 Reece Mews studio, London |
J’ai
peint tant de fois ton corps sans me douter que sa disparition me
révélerait sa réelle présence, mais ce n’est pas ta mort qui me
tourmente, ni mon chagrin, ni notre amour maintes fois blessé et bafoué,
c’est ma lâcheté, mon petit crime envers toi, ma défaillance banale
mais fatale. Comme Maggy me l’a fait comprendre, c’est mon absence de
bienveillance envers nous.
(p. 196)
(p. 196)
Je
n’ai jamais cru en l’immortalité de quoi que ce soit ni de qui que ce
soit. Tu es mort et enterré, ton cadavre déjà mangé par les vers, ce qui
ne t’empêche pas de faire partie de moi. Tu es devenu l’autre en moi.
En cela, je ne suis plus tout à fait le même. Peut-être suis-je un
meilleur vivant. Le deuil n’a pas que des fleurs tristes à offrir.
Je l’espère.
(p. 195)
Je n’ai pas mesuré, de ton vivant, la réelle étendue de ton regard sur moi, ni celle de ton ombre sur la mienne. Le deuil qui me hante est la chose la plus étonnante qui me soit arrivée dans la vie.
(p. 200)
Je n'aimais pas savoir ce que je peignais. J'aurais voulu peindre directement avec mon cerveau, me passer de mes yeux et de mes mains. Ou directement avec mon sexe, et me passer de cerveau.
(pp. 38-39)
La chair n'a jamais été rose. Et personne n'a jamais été vraiment blanc. Comment trouver la couleur qui rendrait justice à la violence habituelle de l'homme, au frisson qu'elle provoque, à la colère qui gonfle son œil ? A quel point je m'entêtais à peindre les ouvertures du corps, le déchirement d'un visage qui accouchait d'un cri !
Je l’espère.
(p. 195)
Je n’ai pas mesuré, de ton vivant, la réelle étendue de ton regard sur moi, ni celle de ton ombre sur la mienne. Le deuil qui me hante est la chose la plus étonnante qui me soit arrivée dans la vie.
(p. 200)
Je n'aimais pas savoir ce que je peignais. J'aurais voulu peindre directement avec mon cerveau, me passer de mes yeux et de mes mains. Ou directement avec mon sexe, et me passer de cerveau.
(pp. 38-39)
La chair n'a jamais été rose. Et personne n'a jamais été vraiment blanc. Comment trouver la couleur qui rendrait justice à la violence habituelle de l'homme, au frisson qu'elle provoque, à la colère qui gonfle son œil ? A quel point je m'entêtais à peindre les ouvertures du corps, le déchirement d'un visage qui accouchait d'un cri !
(p. 77)
Francis Bacon - Two Figures, 1953 |
J’étais
convaincu que l’art, n’appartenant pas au domaine de l’éthique, se
nourrissait autant d’or que d’ordures. Il interrogeait l’inhumain en
moi, m’amenant à perdre mes illusions pour me rapprocher de la vérité
qui me servait de colonne vertébrale, vérité n’ayant rien à voir avec le
mal, le bien, le bonheur, le malheur.
(p. 155)
Au fond, je traînais partout avec moi le regard de mon père et le mépris qu'il avait gravé dans ma chair. Ma vengeance avait été d'avoir fait naître de ce mépris un plaisir inépuisable qui exigeait, sans respect pour la vie, sa part de cruauté et de lucidité.
(p. 43)
Regard d'un père sur un fils défectueux, visqueux, excroissance sortie de ses gênes qui le répugnait. Ce regard me mettait au monde à nouveau avec une force d'expulsion mille fois plus violente que celle des poussées de ma mère à ma naissance. Ce regard de père me fossilisait dans une image pleine de saleté où brillaient de pauvres plaisirs que je n'arriverais plus à oublier.
(p. 49)
(p. 43)
Regard d'un père sur un fils défectueux, visqueux, excroissance sortie de ses gênes qui le répugnait. Ce regard me mettait au monde à nouveau avec une force d'expulsion mille fois plus violente que celle des poussées de ma mère à ma naissance. Ce regard de père me fossilisait dans une image pleine de saleté où brillaient de pauvres plaisirs que je n'arriverais plus à oublier.
(p. 49)
C'était quand il me frappait que je ressentais sa paternité. Elle me clouait à la réalité, m'empêchait de me désintégrer dans l'air ambiant. [...] Mais c'était de la chair d'enfant qui recevait la morsure de ses coups répétés. Et cette chair n'était pas en mesure de comprendre réellement ce qui se passait. Elle confondait le chaud et le froid, la douleur et le plaisir, elle les mariait, les fusionnait et accouchait d'une chose innommable, motte d'existence qui n'était pas tout à fait humaine.
C'était moi, cette sensation de saleté heureuse, et je devais faire avec.
(p. 35)
Longtemps
j'avais attendu le moment où tu me tabasserais. Tu étais assez musclé
pour m’assommer sans que tes poings n'en soient émus. Aimé de tes coups,
je renaîtrais dans la violence que tu m'aurais offerte sous le vert de
tes yeux. A chacune de mes demandes, pourtant, tu avais trouvé un chemin
pour t'enfuir. Tu me regardais de façon incrédule, me prenant pour un
malade. Si je te donnais envie de vomir, ton refus était loin d'être
convaincant.
(p. 69)
(p. 69)
Larry Tremblay - Tableau final de l'amour (La Peuplade, 2021)
Un peu tristounet tout cela .. tu t'en es remis ?
RépondreSupprimerUn peu triste, oui, mais tellement beau et fort. Non seulement je m'en suis remis, mais j'en redemande ! 😋
SupprimerPuissant...
RépondreSupprimerTu l'as dit ! Du début à la fin. Une belle (?) histoire d'amour, comme je les aime.
SupprimerC'est violent. Il y a quelque chose qui me gêne dans ces extraits : j'ai le sentiment, peut-être à tort, d'un manque de sincérité, de quelque chose de trop pensé, de trop travaillé. Je ne me l'explique pas mais il manque une certaine fluidité du coeur.
RépondreSupprimerAh, c'est étrange que tu aies cette impression... Peut-être est-ce dû au fait que ces extraits soient sortis de leur contexte, car je n'ai rien ressenti de tel à la lecture, bien au contraire.
SupprimerJe suis une grande fan de l'oeuvre de Bacon. Pourtant, le style de Tremblay, depuis ses deux derniers romans, ne m'emballe pas assez pour que l'envie me pousse à me plonger dans ce celui-ci... Je suis tout de même ravie de ton apparent enthousiasme.
RépondreSupprimerL'Orangeraie doit traîner quelque part chez moi, mais je n'avais encore jamais lu ce Tremblay-là 😊. Du coup, je ne peux pas comparer avec ses romans précédents, mais j'ai été totalement emporté par ce texte.
SupprimerJe viens de découvrir cet auteur avec "L'orangeraie", que j'ai beaucoup aimé.
RépondreSupprimerJ'ai lu beaucoup de retours enthousiastes pour L’orangeraie. J'ai hâte de découvrir le tien (si jamais tu as prévu d'y consacrer un billet).
SupprimerOui, il y aura un billet, puisque je l'ai lu dans le cadre du mois Québécois.. réponse un peu stupide, puisque je rédige des billets pour toutes mes lectures (sauf romans graphiques, mais j'en lis très peu), c'est mon côté maniaque..
SupprimerManiaque, peut-être. Opiniâtre et persévérante, certainement... pour le plus grand plaisir de ceux qui te suivent et te lisent 🤗
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