J'ai écrit sur les murs avec mon doigt tâché de salive

'Toutes les portes ont été refermées, sauf la tienne, ô Dieu' - Inscription laissée par un détenu sur le mur d'une prison de l’État islamique, al-Bab, Syrie, le 2 mars 2017 (AFP)

 

En prison, je n'avais ni feuille ni stylo.
Te l'ai-je dit ?
Alors, j'ai écrit sur les murs
avec mon doigt tâché de salive.
J'ai écrit sur le sol, avec des restes de faïence venus
de je ne sais où.
La salive sèche et la faïence se brise.
C'est pourquoi j'ai fait ce que j'ai fait.
Tracer des lettres dans ma tête et m'efforcer de les mémoriser.
Tous les jours et toutes les nuits.
J'écrivais. J'ai écrit.
(pp. 60-61)

 

 

Moi non plus, je n'oublie rien.
Quand il en est sorti [de prison], la lumière avait déserté
son regard, il ne parlait pratiquement plus.
Il emmenait les enfants au lac.
Ils les installait sur sa barque.
Ensuite, ils pique-niquaient et chassaient
les mouettes avec toutes sortes d'armes fabriquées main.
Il s'efforçait de rire.
Et eux aussi riaient, ne se doutant pas un seul
instant du gouffre que cache parfois le rire d'un père.
De ses envies de se défenestrer.
De sa rage.
Les coups qu'il se donnait pour punir et bannir
la violence que la prison avait semée en lui.
(p. 42)


Et moi, comme à chaque fois, je me tourne
vers lui et lui demande s'il les a vus,
s'ils ont vu nos enfants, Sarah.
Je les décris. [...]
Je dis leurs noms. [...]
Dire leur nom, Dieu ce que dire leur nom me fait mal.
(p. 60)

Vieillir, c'est devenir l'enfant que plus personne ne voit.
L'enfant dont on dit qu'il a les cheveux gris.
Dont on attend des choses, promesses, gloires et
accomplissements, alors que tout ce qu'il souhaite,
c'est rester jouer avec son bâton en regardant tomber la
pluie, les mains couvertes de boue.
(p. 46)

 

 Antoine Wauters - Mahmoud ou la montée des eaux (Verdier, 2021)