Je ne cherchais pas à m’évader en lisant. Je cherchais à retrouver mes marques.

Suzanne Vega - Tom's Diner (single cover photography © Richard Croft)


Je suis sur la ligne rouge qui sépare la marge du reste de la page. C’est un fil que j’ai tendu et sur lequel je marche maladroitement. J’ignore quand j’en chuterai et si cela finira mal. Surtout, cela ne m’intéresse pas, pour le moment.
(
p. 12*)

J’ai de la tendresse pour Facebook, ce réseau pour vieux qui se persuadent qu’ils peuvent rivaliser avec la jeunesse. Tous ces gens qui prennent en photo les plats qu’ils ont commandés et qui écrivent « miam » suivis de quatre points d’exclamation. Toutes ces citations, dont la moitié sont fausses, accompagnées de réflexions sur le sens de l’existence. C’est à peu près l’équivalent des romans-photos en noir et blanc que lisait ma grand-mère dans
Modes de Paris.
(
p. 14*)

Je m’aperçois que j’aimais beaucoup cette fille. J’aurais dû tenter de garder le contact. Elle a été emportée dans le flot des promesses non tenues – celles qu’on profère au moment d’effectuer la mue qui nous permettra de laisser derrière nous notre épiderme de jeunesse et son encombrant lot d’amertumes.
(
p. 21*)

Guillaume sera sans doute mon plus grand remords. Ce n’est pas ce fils-là dont j’avais rêvé. La phrase est raide, mais elle n’est rien à côté de sa dureté à lui. J’en prends ma part de responsabilité, bien sûr. L’autre part, celle de mon mari, je m’en sépare aujourd’hui. Il pense l’avoir réussi. Je trouve que le ratage est complet. Nos différences sont irréconciliables.
(
p. 61*)

Ce que je voulais, c’était de l’ici et du maintenant. Rencontrer des personnages que je pourrais croiser dans la rue. Comprendre leurs réactions. Éprouver leurs colères, leurs frustrations, leurs espoirs et leurs joies. Je ne cherchais pas à m’évader en lisant. Je cherchais à retrouver mes marques. Je les avais perdues depuis trop longtemps.
(
p. 63*)

[...] tous ceux qui étaient partis suivre des études à la capitale ou ailleurs et qui prétendaient profiter pleinement de cette existence dont ils rêvaient depuis des années, culture à portée de main, tourbillon d’idées et de rencontres, fêtes improvisées, se sont réveillés un matin avec cette annonce glaçante : dans trois jours, ils seraient coincés dans ce minuscule deux-pièces, dans cet immeuble pourri donnant certes sur le canal Saint-Martin mais dont la tuyauterie était constamment bouchée et le toit branlant ; ceux-là mêmes qui revenaient ici le week-end en gueulant leurs certitudes dans les bars, la province c’est l’enfer, tout le monde espionne tout le monde, c’est dingue comme il n’y a aucune distraction à part le Multiplex – eh bien, ils ont tous rappliqué ventre à terre, bien contents finalement que leurs parents habitent encore ce bled qu’ils détestaient pendant leur adolescence et dont ils se moquaient ouvertement dès qu’ils repartaient vers leur eldorado.
(
p. 77*)

C’est toujours difficile de donner un avis sur l’œuvre de quelqu’un quand on le connaît. Tout est biaisé. On se cherche dans les personnages. On émet des suppositions. On se demande si tel nom de famille n’en cache pas un autre. On finit par se perdre et oublier l’intrigue. Souvent, quand je me lance dans un de ses livres, je suis obligé de m’arrêter vers la cinquantième page et de tout recommencer depuis le début, parce que j’ai perdu le fil. N’empêche. J’ai trouvé le dernier poussif. C’est l’adjectif qui m’est tout de suite venu à l’esprit. L’intrigue tient en deux phrases et il en pond plus de trois cents pages. Bien sûr, je ne suis pas spécialiste et sans doute que c’est le style qui porte l’ensemble, mais, je ne sais pas, c’est la première fois que j’ai été un peu déçu.
(pp. 90-91*)

*sur ma liseuse
  Jean-Philippe Blondel - Café sans filtre (L'Iconoclaste, 2022)

Commentaires

  1. Dans mes bras!!! (en tout bien tout honneur ^_^) Je viens de le lire, j'en parle lundi. Vraiment une lecture agréable, on aurait pu y rester plus longtemps, dans cet univers;

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    1. Une lecture intelligente qui fait du bien, heureusement pas dans cet esprit "feel good" anesthésiant.

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  2. En fait, pour la dernière citation, j’ai pensé à vous, Laurent, et au moment où je vous ai blessé. Merci, donc. JP

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    1. Je ne suis pas certain de saisir exactement à quoi vous faites allusion (et ce n'est certainement pas l'endroit pour développer), mais je sais que ça me fait plaisir de vous voir traîner par ici après tout ce temps.

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    2. Merci … vous vous souvenez, dans Dancers, un passage vous a heurté - je m’en suis beaucoup voulu

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    3. Figurez-vous que j'avais oublié ce micro-incident... Si ça peut vous consoler, j'ai entendu bien pire depuis 😏
      A l'époque, mon diagnostic était encore tout frais ; chez moi, le sujet était à vif. Je suis un peu plus serein avec ça aujourd'hui ; je ne me sens plus le besoin de partir systématiquement en croisade contre les clichés qui circulent à propos des autistes 🤯Il faut choisir ses combats et la meilleure façon de les mener si on ne veut pas s'épuiser en vain.

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