« On ne sait plus par où on souffre, mais on souffre et cette souffrance nous tient en vie. »

René Perrot - Arbois (Jura), 1943 © RMN-Grand Palais (MuCEM)-Franck Raux / © ADAGP, Paris
 
Parfois, je me demande si mes qualités d'enfant n'ont pas fait de moi un adulte pitoyable, si mon refus d'aller vers les autres ne m'a pas transformé en type étroit, terrorisé par tout. [...]
Et si les qualités qu'on prête aux écrivains, pour finir, ne relèvent pas davantage du pli autistique que du talent. Mes livres sont-ils autre chose que mes maladies déguisées ? Des peurs qui cachent leur nom ? Je sais qu'écrire, c'est se traverser de part en part en acceptant tout ce que l'on croisera, tout ce que l'on touchera du doigt et que l'on entendra. Même ce qu'il y a de plus terrible. Car cela, il faudra parvenir à l'aimer.

(p. 187)


Quand on n'a pas d'horaires précis, pas de raisons de sortit de chez soi le matin, pas de raison de quitter son lit, quand on n'a que soi et ses pensées, comme moi et comme tant de monde, les maisons se referment sur nous, et nous digèrent. Tout nous coûte, tout devient lourd, compliqué. Acheter du pain. Payer une facture. Notre sagesse ? Quelle sagesse ? On s'autodétruit. On devient pour soi-même un poids. La moindre des choses que l'on entend résonne en nous pendant des jours. Un écureuil qu'on croise dans les coteaux est une épiphanie. On ressasse. On s'épuise. On ne sait plus par où on souffre, mais on souffre et cette souffrance nous tient en vie. On murmure pour nos proches d'infinis « sauvez-moi », mais nos proches ne nous entendent plus car ils nous ont toujours connu comme ça. Dehors, la plus petite lumière fait l'effet d'un bain abrasif. Elle nous console, puis elle nous tue, car une fois dissipée c'est encore plus de solitude. Je pense parfois que les gens comme nous devraient être aidés à coups de treuil, qu'on devrait nous sortir, nous exhumer, casser les murs de nos maisons, brûler nos lits, ravager nos bibliothèques et nous emmener au milieu d'un vaste champ de tournesols où, tendrement mais avec vigueur, nous épousseter. Quand je marche avec ma mère, elle finit toujours par me devancer un peu. Elle se détache de moi, imperceptiblement. Au bout de quelques minutes, elle se met à chanter, redevenant la femme volante, la femme qui chante pour bercer le silence qu'elle porte en elle. Ensuite, se retournant, elle me sourit. Je sais bien ce que signifie ce sourire. Je sais bien que, même à l'air libre, les gens comme nous ne quittent jamais leurs plis.
(pp. 188-189)
 
Antoine Wauters - Le plus court chemin (Verdier, 2023)

Commentaires

  1. Le retour?
    Ce livre est à ma bibli!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Un éventuel (vrai) retour n'est pas à l'ordre du jour...
      C'est juste l'envie de partager ces mots qui ont fortement résonné en moi. Beaucoup d'autres m'ont "parlé", ceux-ci particulièrement.

      Cette envie est d'autant plus forte que, depuis sa sortie, ce livre est réduit la plupart du temps à un recueil de souvenirs d'enfance. Antoine Wauters revisite effectivement son passé mais c'est pour mieux essayer de comprendre cette pulsion salvatrice qui chaque matin l'enjoint d'écrire, cette nécessité viscérale de l'écriture comme ultime recours pour (sur)vivre dans un monde où il ne (se) trouve pas (à) sa place et éloigner la tentation d'en finir avec soi-même.
      C'est ce que j'ai trouvé beau, puissant, émouvant.
      Je recommande chaudement.

      Supprimer
  2. Encore un auteur à découvrir en ce qui me concerne.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne peux que t'encourager à le découvrir (mais pas forcément avec ce titre-là pour commencer)

      Supprimer
  3. je ne connais pas ! j'espère que tu vas bien

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu me sembles plus branchée littérature anglo-saxonne que francophone, ceci expliquant sans doute cela 🙂
      Tout va bien ici, j'espère qu'il en est de même chez toi.

      Supprimer
  4. Je n'ai pas encore lu cet auteur, mais on m'a offert récemment Mahmoud sauvé des eaux.. et ravie de te lire !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La personne qui t'a offert Mahmoud sauvé des eaux te voulait du bien, tu peux en être sûre.😉

      Supprimer
  5. Contente de voir ton blog revivre, même si c'est pour des extraits de livre, très beaux et forts. Merci

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Si le post auquel vous réagissez a été publié il y a plus de 15 jours, votre commentaire n'apparaîtra pas immédiatement (les commentaires aux anciens posts sont modérés pour éviter les spams).