Un bonheur que je ne souhaite à personne, Samuel Le Bihan



Allez donc, encore une célébrité qui succombe à la dernière mode éditoriale du moment et se prête au jeu de l’autofiction en publiant un texte estampillé Roman.
Voilà exactement ce que j’ai pensé en voyant le roman de Samuel Le Bihan sur la table des nouveautés. (j'ai souvent ce genre de réactions épidermiques et de jugements à l’emporte-pièce, je sais)

Pourtant, sans que je suive sa carrière de très près, Samuel Le Bihan est une personnalité qui bénéficie chez moi d’un certain capital sympathie. S’il est vrai que je ne suis pas insensible à son charme, j’apprécie surtout le naturel et la discrétion dont il fait preuve à chacune de ses interventions. J’admire aussi que le citoyen qu'il est donne de sa personne et mouille sa chemise pour défendre les causes sociétales et environnementales dans lesquelles il s'engage.
Si je n’ai donc pas été étonné plus que cela de voir son nom sur la couverture d’un livre, c’est plus dans le rayon Documents/Essais que je l’attendais. D'autant que ces derniers temps, l’acteur a été présent plus que d’habitude dans les médias, témoignant des multiples difficultés rencontrées par les parents d’enfants autistes pour les intégrer dans la société, et notamment à l’école.

D’autisme et de scolarisation, il en est question dans ce roman. (car il s’agit bien ici d’un roman) Celui du parcours de Laura, mère battante célibataire d’un adolescent, Ben, et de son cadet, César, autiste de 7 ans, tous deux nés de relations révolues.
Et ce n’est une mince affaire que de gérer seule ses obligations professionnelles, jongler avec les rendez-vous du "petit" avec un aréopage de spécialistes (orthophoniste, pédiatre, kiné, ergo...), se colleter la rébellion adolescente du "grand", et remplir ses engagements au sein de l’association qu’elle a créée pour venir en aide aux parents d’enfants autistes.
Laura s’oublie pour mieux venir en aide aux autres. Elle se bat pour que la société accepte et intègre César et ses semblables. À ce rythme effréné, ses journées n’ont pas assez de 24 heures. À tel point qu'elle néglige sa vie personnelle et amoureuse, reléguée au dernier plan.

Être maman d’un jeune enfant "différent" (j'aime tellement mieux la formule anglaise : "with special needs") n’est pas simple. En plus de veiller à améliorer l’équilibre et l’autonomie de César, la jeune femme doit se confronter au regard des autres, à leur ignorance, à leurs réflexions souvent déplacées, à leur indifférence aussi ; faire au mieux pour pallier les carences de l’État ; affronter la lourdeur administrative et la mauvaise grâce d’un corps enseignant peu familier avec l’autisme, qui ne veut pas s’encombrer de ce qu’il considère comme une complication supplémentaire.
Pour autant, Laura n’est pas une mère courage. Elle ne cherche (surtout) pas à se faire plaindre. Son combat, elle l’a choisi ; elle ne le subit pas. Laura est une guerrière, mue par l’amour, qui bataille pour que les droits fondamentaux de son enfant soient respectés et pour lui assurer un avenir meilleur.

Face aux obstacles et à l’adversité, la détermination de Laura atteint un point de non-retour quand elle se voit refuser l’AVS (Auxiliaire de Vie Scolaire) auquel César a droit, et condition sine qua non pour que son petit garçon puisse faire sa rentrée à l’école. Puisque personne ne veut comprendre, il ne lui reste plus qu'à employer les grands moyens pour se faire entendre.



Pour son premier roman qu’il veut être un hommage à toutes les "super mamans" qu’il a rencontrées, Samuel Le Bihan a puisé dans son histoire personnelle. Mais plutôt que de se raconter à la première personne, il a endossé le rôle de l’une d’elles.
Il n’a eu aucun mal à se glisser dans la peau de Laura : lui-même, bien que privilégié, a dû batailler pour faire scolariser sa fillette autiste de 8 ans et lui obtenir une AVS.

Cette proximité avec son héroïne, leur combat commun, est sans doute pour beaucoup dans la justesse des situations décrites, l'ambivalence des sentiments éprouvés, la pertinence des dialogues échangés. Sans être remarquable, le style est fluide et vivant. Les émotions, en montagnes russes, passent des petites joies au profond désespoir ; le lecteur, des yeux embués au sourire moqueur.
En se faisant porte-parole de ces femmes, Le Bihan se montre parfois trop désireux de faire œuvre de pédagogie sur l’autisme en général, sur leurs difficultés en particulier. Ces moments m’ont parus fabriqués, desservant la fluidité du récit et l'authenticité des situations.
Mais c’est bien là la seule petite réserve que je ferai à ce livre qui parlera à beaucoup, mamans ou pas, parents d’enfants "différents" ou non. Il s'agit avant tout une histoire humaine, pudique et émouvante, sur l’amour sous toutes ses formes, sur les engagements personnels, les combats que l’on choisit de mener pour une vie meilleure. 

Un bonheur que je ne souhaite à personne - Extrait 1Extrait 2


À l'occasion de la sortie de son roman, Samuel Le Bihan s'est confié au Parisien 


Samuel Le Bihan - Un bonheur que je ne souhaite à personne (Flammarion, 2018)

Commentaires

  1. Ta première phrsae, c'est exactement ce que j'ai pensé moi aussi en voyant ce bouquin chez mon libraire. Comme quoi, il ne faut jamais en rester aux premières impressions ;)

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    1. Dans le cas présent, malgré quelques maladresses, c'est une belle surprise.

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  2. j'ai vu une interview de lui il y a un mois environ et je l'ai trouvé posé (et pareil j'aime bien la personne) du coup j'étais curieuse pour son roman et ton avis correspond à l'idée que je m'en faisais (le côté pédagogique m'énerve souvent même dans des romans ayant d'autres thèmes)
    mais du coup, penses-tu que son roman peut être conseillé à des parents découvrant l'autisme de leur enfant ?

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    1. C'est une sacrée question que tu me poses là...
      Pour les parents qui sont décidés à tout tenter pour le meilleur de leur enfant, ce roman leur réchauffera le coeur. Ils verront qu'ils ne sont pas seuls dans ces cas-là, qu'il existe des associations où les gens sont solidaires. Ils se retrouveront aussi (forcément) dans les diverses situations de l'héroïne.
      Si le diagnostic officiel est posé (sinon c'est la 1e chose à faire) et que les parents se trouvent désemparés quant à l'avenir de leur enfant, à cause notamment de leurs idées (souvent erronées) de l'autisme ou de ce que les médecins auront pu leur dire (il y là de quoi faire un anthologie de la connerie), c'est un roman qui leur montrera qu'il ne faut pas se résigner, que le placement en établissement spécialisé n'est pas la bonne solution à prendre. Les autistes progressent au contact des neurotypiques et pour peu que les enseignants s'en donnent la peine, une scolarisation traditionnelle est souhaitable. Ils sauront aussi qu'il est encore difficile en France d'obtenir une SAV mais que ce n'est pas impossible et qu'ils ne faut pas qu'ils lâchent le morceau.

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  3. C'est un sujet qui m'intéresse ayant un neveu autiste mais j'ai du mal avec les phrases "la mauvaise grâce d’un corps enseignant peu familier avec l’autisme, qui ne veut pas s’encombrer de ce qu’il considère comme une complication supplémentaire." et " pour peu que les enseignants s'en donnent la peine". Je suis enseignante en collège, nous accueillons cette année deux élèves de sixième autistes (et très différents : l'un très extraverti, difficile à canaliser, l'autre plus introverti). Nous sommes dans un petit collège et toute l'équipe pédagogique, sans exception, est consciente de l'importance pour ces enfants d'être scolarisés dans un établissement classique. Mais nous n'avons aucune formation et nous sommes démunis face aux crises de ces enfants. C'est très difficile pour nous. Alors, non, ce n'est pas une contrainte que nous refusons, nous nous investissons pour ces enfants, mais malheureusement nos moyens pour les intégrer sont dérisoires. Les AVS, quand il y en a, n'ont aucune formation et sont rarement à plein temps, et nous avons beau avoir des rendez-vous avec les psys, orthophonistes ( ce qui montre notre implication)... on a parfois l'impression d'aller droit dans le mur. Alors intégrer ces enfants, oui, bien sûr, c'est une évidence, mais sans moyen, c'est extrêmement compliqué.

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    1. Je comprends que, quand on fait son boulot consciencieusement et avec dévouement, mes propos volontairement polémiques puissent heurter.
      De toute évidence, c'est ton cas et je ne peux que saluer les efforts que vous mettez en place dans ton collège. Et bien entendu, le manque de moyens flagrant (ne serait-ce qu'au niveau des AVS) ne fait que compliquer la chose. La non-formation des AVS à laquelle tu fais allusion est un scandale.

      Pour autant, j'ai de nombreux exemples où, pour des cas moins "lourds" que l'autisme, les gamins souffrent de la non-implication du personnel de leur école.
      Par exemple, l’aînée de ma collègue (10 ans) vient d'être diagnostiquée diabétique. Pour des histoires de responsabilité ou je ne sais quoi, l'école refuse que la gamine se fasse ses dextros elle-même et exige qu'une infirmière vienne la faire. Problème : l'établissement n'a pas d'infirmière à demeure et les deux infirmières libérales de son village ne sont pas disponibles car déjà appelées dans différents établissements scolaires vers midi. Que faire ? Retirer la gamine de la cantine alors que ses parents travaillent sur Paris et ne rentrent pas le midi ?
      Autre exemple : ma sœur est ergo dans un établissement spécialisé où le nombre des enfants handicapés qui sortent du cursus scolaire normal ne cesse de croître. Un des derniers arrivants est un gamin en fauteuil qui avait intégré une école avec une AVS. Problème : l’ascenseur de l'établissement n'est pas assez large pour laisser entrer un fauteuil. Du coup, il faut porter l'enfant jusqu'à sa classe... dont il ne bouge plus même pendant les récréations parce que trop problématique pour le redescendre. Bonjour l'intégration !
      Ces histoires ne sont pas simples et quand les parents se heurtent à la mauvaise volonté de certains, c'est encore plus compliqué.

      Pour ce qui est du cas des deux élèves de votre collège, en plus des psys (qui ne sont pas tous au fait de l'autisme, loin de là) les parents sont souvent une excellente source pour avoir un historique rapide du parcours de l'enfant et avoir quelques clés adaptées à chacun face à des situations bien précises. Car il n'y a rien de plus vrai que la formule qui dit : "Tu connais un autiste, tu connais un autisme". Ce qui va marcher pour l'un ne marchera pas pour l'autre.

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