Les Œuvres de miséricorde, Mathieu Riboulet
« Je veux serrer dans mes bras le corps d’un de ces hommes dont je ne parle pas la langue, le corps d’un de ces hommes que l’Histoire longuement m’opposa, le corps d’un homme allemand. » (p. 13)
Ni vraiment récit, ni tout à fait essai, encore moins roman, Les Œuvres de miséricorde, de Mathieu Riboulet sont à la fois singulières et inclassables.
Pour ceux qui comme moi ne seraient pas familiers avec le concept, les œuvres de miséricorde sont des actions charitables (7 morales et 7 corporelles) par lesquelles un bon chrétien peut venir en aide à son prochain.
Donner à manger à ceux qui ont faim, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, loger les pèlerins, visiter les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts : les œuvres de miséricorde forment un ensemble d’impératifs moraux édictés par l’Église, censés obliger les chrétiens et peser de leur poids dans la balance du Jugement dernier. Au nombre de sept, comme les péchés capitaux, elles sont comme eux connus de tous ceux qui, nés en culture chrétienne, en sont imprégnés, qu’ils le veuillent ou non, sans bien savoir ni d’où ils en tiennent la connaissance, ni à quoi elle se rattache précisément. (p. 10*)
Certaines de ces actions, ainsi que des variations concoctées par l’auteur, donnent leur nom aux 18 chapitres.
Français né après la guerre, le narrateur (double fictif de Riboulet ?) compte plusieurs de ses aïeuls tués dans le conflit de 14/18. Homosexuel, il est également marqué par les persécutions dont ont été victimes en 38/45 ses semblables et les juifs.
Alors qu’il entre dans la cinquantaine, il décide de se rendre en Allemagne pour trouver dans les corps des anciens ennemis une trace des séquelles laissées par les trois guerres qui ont opposé la France à l'Allemagne. Le corps des hommes est donc au cœur de ce texte, méditation sur l’amour, la vie et la mort à travers le prisme de l’Histoire, de l’Art ou de la sociologie.
C’est Andreas, son amant de Cologne, qui incarnera à ses yeux le corps allemand qu’il n’aura de cesse d’explorer, du quartier gay de Cologne aux clubs SM de Berlin, jusque dans les églises napolitaines.
À partir du tableau de Caravage, Les Sept Œuvres de miséricorde, Riboulet va disserter sur le fil ténu qui différencie deux corps dans l’étreinte de l'acte d’amour de deux autres unis dans le combat, de ce petit rien qui sépare les gestes de l’amant de ceux du bourreau, distingue la caresse de la violence.
Par l'entremise de tableaux de Caravage, Riboulet habille son texte de références bibliques qui, par ricochet, auréolent son narrateur d’une dimension christique, dont le corps (et le sexe) serait donné en offrande. Cérémonies sacrées, les séances sadomasochistes dans les clubs berlinois en font un martyr, un supplicié sacrifié pour expier les péchés du monde.
Ces Œuvres de miséricorde sont définitivement le texte de Mathieu Riboulet le plus difficile qu’il m’ait été donné de lire à ce jour. Sans doute parce que mes lacunes culturelles m’ont empêché l’accès à d’autres références, d’autres messages que ceux exposés ici.
Il n’empêche que j’ai apprécié me frotter à l’érudition de Riboulet et les passages qui m’étaient accessibles m’ont offert de magnifiques fulgurances.
Les Œuvres de miséricorde - Extraits
À l’automne 2012, Mathieu Riboulet présentait Les Œuvres de miséricorde
Mathieu Riboulet - Les Œuvres de miséricorde (Verdier, 2012)
De l'auteur je n'ai lu que A la lecture (beaucoup de Proust à l'intérieur!). Pour celui dont tu parles, heu je crains un peu. Les tableaux sont reproduits ou il faut chercher?
RépondreSupprimerTa remarque est très pertinente (bien sûr!) : comme à chaque fois qu'il est question d’œuvres picturales dans un roman, je regrette toujours qu'il n'y ait pas de reproduction. Celui-ci ne déroge pas à la règle, malheureusement. Il m'a fallu aller chercher certaines reproductions sur le net.
SupprimerD'accord, je vais le reprendre. Je sais bien qu'il a tout pour m'intéresser, chacune des lectures de M.Riboulet m'a apporté quelque chose. En te lisant, je réalise que ce qui m'a gêné, lorsque je me suis lancée dans cette lecture, ce n'est pas les Oeuvres de Miséricordes ( d'autant plus qu'il y a du Caravage dedans ) mais cet aspect sacrifice, christique.
RépondreSupprimerC'est une vision très judéo-chrétienne, où il n'y a pas de rédemption possible sans souffrance, à laquelle on n'adhère pas forcément. Tout comme ce point de départ du narrateur, de vouloir comprendre les conflits franco-allemands à travers l'exploration des corps...
SupprimerN'empêche, il y a de très belles choses dans ce texte.
Oui, dans les premières pages, cela m'avait frappée, cette correspondance entre l'enlacement et le combat, j'avais trouvé ce passage très beau, saisissant.
SupprimerJe suis beaucoup trop inculte pour que ce roman arrive à me parler!
RépondreSupprimerJe ne pense pas que ton bagage soit plus léger que le mien... Du coup, je suis certain que tu pourrais, y trouver de quoi régaler tes petites cellules grises :)
SupprimerJe ne connais pas du tout cet auteur ! Mais le thème de la peinture m'attire beaucoup, surtout Caravage.
RépondreSupprimerBonne journée.
Riboulet, qui est décédé récemment, malheureusement, est un auteur qui mérite d'être lu.
SupprimerIci la peinture, avec Caravage, est un support à la "démonstration" de l'auteur, il n'est pas le thème principal du récit. J'espère que tu aimeras tout de même.