Maria, Angélique Villeneuve
À près de 60 ans, Maria est shampooineuse dans le salon de coiffure de sa ville.
Veuve de bonne heure, elle a élevé seule sa fille unique, Céline, aujourd’hui mariée à Thomas. Depuis, elle a refait sa vie avec William.
Avec Marcus, son petit-fils de 3 ans, elle est une vraie mamie gâteau. Ensemble, ils observent les oiseaux et collectionnent les plumes qu’ils trouvent. Sa relation complice à cet enfant est très charnelle, presque animale, faite de câlins, de caresses lors desquels tous ses sens sont en alerte.
Pour ne pas contraindre son fils au genre qui lui a été assigné à la naissance, Céline a décidé de donner à Marcus une éducation non genrée. Ainsi, le petit garçon peut bien garder les cheveux longs s’il le souhaite.
Maria ne trouve rien à redire à ce qu’elle considère comme une lubie de la part de sa fille, un caprice de son petit-fils. Elle a tout de même un peu plus de mal quand, plus tard, il vient la voir avec les ongles vernis en rose ou avec une robe de rechange dans son sac à dos.
Si son amour pour Marcus est plus fort que toutes ses excentricités, William, pour sa part, n’accepte pas que le petit gars ne corresponde pas à l’image qu’il se fait d’un garçon. Le jour où le gamin décide qu’il faut dorénavant l’appeler Pomme, les dents grincent chez les grands-parents.
Le coup de grâce tombe le jour où Céline annonce à sa mère qu’elle attend un 2e enfant... dont elle et Thomas ne veulent pas dévoiler le sexe. Le bébé s’appellera Noun*, prénom neutre, ni masculin, ni féminin. Ni garçon, ni fille, il choisira plus tard le genre qui lui conviendra le mieux.
C’en est trop pour William qui s’en va et quitte Maria. De son côté, la mamie gâteau souffre d’être de plus en plus tenue à l’écart de ses petits-enfants.
Depuis toutes ces années que je lis sur les blogs de très jolies choses sur la prose d’Angélique Villeneuve, je n’avais toujours pas sauté le pas. À l’annonce d’un nouveau roman ayant pour thème central le genre et l’identité, je me suis dit que c’était là une bonne occasion de découvrir enfin l’auteur. Les semaines, puis les mois ont passé. J’avais oublié Maria jusqu’à ce que le hasard le mette sur mon chemin.
Contrairement à la plupart des billets que j’avais lus à l’époque sur ce roman, cette lecture m’a été éprouvante.
Plusieurs raisons à cela : tout d’abord, on m’avait annoncé un roman sur le genre. Or, à mes yeux, ce n’est pas là le thème central du roman qui serait plutôt l’amour inconditionnel d’une grand-mère pour ses petits-enfants.
Plus encore, j’y ai vu un roman sur la radicalisation. Comment des personnes, qui prônent la tolérance et la liberté, par leur rigorisme, finissent par se comporter en véritables ayatollahs bornés et peu soucieux de la liberté de penser des autres. De ceux qui, du moment qu’on ne partage pas leur avis, nous considèrent comme des ennemis.
En tant que partisan du vivre et laisser vivre, ce type comportement m’est réellement insupportable. Plus encore quand il conduit à des incohérences de conduite. (c’est pour cela qu’il vaut mieux ne pas aborder avec moi le cas des vegans qui ne trouvent rien de mieux que de vandaliser des boucheries ou des antispecistes qui nourrissent des pigeons qui n’en ont pas besoin, véritables fléaux urbains, et laissent crever les SDF en bas de leur immeuble)
Par nature, j’ai toujours été en décalage avec tout ce qui touche aux « qualités » présumées attribuées à un sexe et à l’autre : la douceur des filles qui jouent à la poupée, le caractère guerrier des garçons qui jouent aux soldats... Qui a décidé que le rose était réservé aux filles ? Je suis donc plus que favorable au fait d’offrir des petites voitures à une fille si elle en exprime l’envie, ou une dinette à un garçon. Ce n’est pas ça qui va décider de leur orientation future.
Mais je n’ai pas compris l’obstination de Céline et Thomas : en quoi le fait de connaître le sexe de naissance du bébé change quoi que ce soit à leur choix d’éducation si on n’oblige l’enfant à rien et qu’on le laisse libre de ses choix ? Et de là à se montrer tellement intransigeants qu’eux-mêmes sont obligés à mille circonvolutions lexicales pour ne pas trahir le sexe du bébé par l’utilisation d’un pronom genré ! On frise le ridicule.
Un autre point (de taille) m’a posé problème : sous prétexte qu’il n’est pas en accord avec l’éducation de sa belle-fille, William claque la porte et quitte Maria. Un désaccord d’éducation suffirait donc à faire un trait sur 20 années de vie commune ? N’est-ce pas justement dans un moment aussi difficile à vivre pour elle qu’il devrait lui montrer sa solidarité et son amour ?
Cela ne me semble pas être un motif suffisant pour mettre au rebut 20 années de sa vie. Au pire, ce pourrait être la goutte d’eau qui fait déborder le vase, le prétexte attendu pour prendre la tangente quand une relation bat de l’aile depuis un moment... Mais jamais il n’est question dans le roman de fortes dissensions dans le couple que forment William et Maria.
Pour toutes ces raisons, Maria m’a réellement été pénible à lire.
Toutes les crispations qui se sont créées en moi au fil de ma lecture m’ont empêché de déguster comme il aurait fallu la plume délicate et poétique d’Angélique Villeneuve.
Je sais que je reviendrai vers elle plus tard, avec un autre roman et, surtout, un autre thème.
* Pour moi, Noun (Nūn, ن) est la 25e lettre de l’alphabet arabe, celle qui a donné le « N » latin. Et j’ai lu tout le roman avec cette image en tête.
Ce n’est qu’en rédigeant ce texte que je suis allé voir sur le web s’il n’y avait pas une signification autre que celle-ci. J’ai ainsi appris que, dans la mythologie égyptienne, "Noun est l’Océan qui a fait la Vie et qui fera la Mort".
Mais ce que je n’avais pas du tout envisagé - et que je viens de réaliser en rédigeant cet aparté -, c’est que Noun soit tout simplement la forme anglaise de « nom » !!!
Maria - Extraits
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« Je n'étais pas particulièrement attirée par le sujet de départ, mais j'ai vite été happée par Maria et j'ai lu le roman presque d'une traite. [...] Une belle surprise de la rentrée 2018 et l'affirmation d'un talent. » Aifelle
« Tu as aimé qu’Angélique Villeneuve ne prenne aucun parti dans ce livre (mis à part celui de l’amour), mais qu’elle évoque ce sujet, avec toutes ses facettes et ambiguïtés. Cela donne un roman passionnant, parfois sombre, mais souvent lumineux, poétique, où les oiseaux mènent la danse et où la vie, rude, cherche à creuser des sillons de couleurs à fleur de macadam. » Antigone
« J’ai découvert une écriture à la fois charnelle et à fleur de sentiments, en prise directe sur la poésie autour de nous, une façon d’aborder les choses de manière non pas frontale mais incidente pour nous emmener sans parti pris hors des sentiers battus, à la recherche de nouvelles marques. Je n’oublierai pas Maria de sitôt, ni Céline en quête d’un monde meilleur pour ses enfants. » Brize
« Maria, d’Angélique Villeneuve est vraiment un très beau roman, un portrait de femme confrontée à la perte de son monde, et qui cherche à reconquérir ce qu’elle a perdu. Un livre court, mais pourtant riche, dense, profond. Une très belle lecture. » Eva
« Ce que j'ai apprécié dans ce roman, c'est que l'auteure ne nous impose aucune opinion mais nous invite, tout en finesse, à considérer les différents points de vue, quelle que soit notre idée de départ. Il n'y a pas de "tout blanc ou tout noir", mais des personnes qui font des choix, qui suivent leurs idées et que l'on essaye de comprendre, au-delà de savoir si on est d'accord avec eux ou pas. » Gambadou
« Avec beaucoup de finesse, Angélique Villeneuve interroge sur nos façons d'aimer, pointe cette manie que nous avons de vouloir formater les autres à notre image, nos difficultés à admettre les différences. C'est une question millénaire qu'elle parvient à brillamment renouveler par le prisme de cet angle de vue inédit et très intelligent. Que faut-il savoir de l'autre pour l'aimer ? » Nicole
« Maria est un roman qui bouscule. Angélique Villeneuve aborde le thème de la théorie du genre mais aussi la place des grands-parents dans vie de l'enfant. Ces questions sont traitées avec une grande délicatesse et sans parti pris. Je n'ai qu'un reproche à faire au roman, son dénouement un peu rapide. Je n'avais pas envie de quitter Maria et sa petite famille sans savoir comment allaient évoluer Pomme et Noun au fil du temps. » Sylire
Angélique Villeneuve - Maria (Grasset, 2018)
J'ai aimé lire ce qui t'a gêné dans ce roman et que je partageais entièrement puis les extraits que tu as donnés de toutes celles qui ont apprécié. Conclusion : je n'ai guère envie de le lire... car comme toi, l'extrémisme dans un sens comme dans un autre me hérisse le poil.
RépondreSupprimerL'auteure a très probablement choisi d'observer la situation par le prisme de l'extrémisme pour dénoncer certaines "dérives", mais je n'ai pas pu en faire abstraction pour me concentrer sur le reste. C'est un comportement tellement répandu aujourd'hui que ça me heurte : si on n'est pas du même avis qu'une personne, on est forcément contre cette personne. Bullshit ! Et quand à cela s'ajoute le politiquement correct, c'est le pompon.
SupprimerComme Krol, ton avis très clair et bien exprimé ne me donne pas spécialement envie de découvrir ce roman, que j'avais d'ailleurs un peu oublié.
RépondreSupprimerEt pourtant, parmi les "anciennes" que nous côtoyons depuis un bail, beaucoup de blogueuses ont été sous le charme. C'est ce qui m'avait décidé à me plonger dans ce livre quand il a croisé ma route.
SupprimerPour moi je pensais à nun (allemand pour maintenant) ou la lettre hébraïque (comme en arabe)
RépondreSupprimerJe sens que j'aurais le mêmes préventions que toi. ^_^
De mon temps (OK, là je le fais exprès) les parents étaient contents d'avoir des vêtements pour les enfants, peu importe la couleur. Et puis je jouais avec des enfants garçons ou filles sans trop m'occuper du reste.
Effectivement, jusqu'à l'âge de seize ans, dès que j'ai travaillé pendant les vacances et que j'ai pu m'acheter des vêtements, je n'ai été habillé que grâce à une voisine de ma grand-mère qui avait deux fils plus grands que moi. Dès qu les vêtements étaient trop petits pour le cadet, j'en héritais ! Inutile de te dire que j'étais loin d'être branché et à la mode...
SupprimerEn revanche, il ne serait venu à l'idée de personne qu'un garçon puisse mettre des couleurs considérées comme réservées aux filles. Quand j'étais ado, dans les années 80, certaines personnes étaient choquées que je puisse mettre des polos rose ou jaune...
Dommage, les extraits et le sujet (apparent) me plaisaient bien, mais je partage complètement ton analyse sur tes réticences, je passe donc... c'est peut-être une autrice qu'il est préférable de découvrir avec un autre titre ?..
RépondreSupprimerIci, c'est le parti-pris de l'intransigeance des parents, délibérément choisi par l'auteure, qui m'a hérissé le poil. Je n'ai en revanche rien à reprocher au style et à l'écriture, bien au contraire. C'est pour cela que je sais déjà que je retenterai ma chance avec un autre roman.
SupprimerJe l'ai lu aussi suite à des avis positifs sur les blogs mais très vite oublié. Je ne l'ai d'ailleurs pas ajouté à la bibliographie sur le genre car il me semble comme toi qu'il est plus question des relations entre la grand-mère, la fille et les petits enfants. J'ai eu le sentiment qu'au lieu d'accepter l'enfant tel qu'il est et de lui laisser la place de grandir comme il l'entend, la mère l'utilisait comme étendard pour son propre combat, et cela m'a gênée tout du long.
RépondreSupprimerTu as parfaitement synthétisé ma pensée : l'enfant est un outil/une arme dont les parents se servent pour défendre leurs idées. C'est exactement ça.
Supprimereh ben ! je ne le lirai pas c'est certain, car je suis déjà frustrée en lisant ton billet, et le commentaire de Céline rejoint également mon avis. Je suis en train de lire les Argonautes de Maggie Nelson et forcément ton billet fait écho à ce livre !
RépondreSupprimernous sommes de retour de notre road trip, on a survécu aux routes isolées, aux moustiques et vu plein de Cree. Et il va falloir sérieusement réfléchir à notre maison d'éditions pour les auteurs autochtones ;-)
The Argonauts, en voilà un livre sur le genre, la question du genre et tout ce qui en découle ! J'espère que tu apprécies. En le commençant, je ne pensais pas qu'il m’emmènerait aussi loin dans mes propres questionnements.
SupprimerJ'envie ton escapade parmi les Cree (mais pas trop les moustiques!). J'ignore si tu reprends le boulot bientôt ou s'il te reste encore quelques jours avant la reprise, mais la période serait idéale pour prendre le temps de réfléchir à de futurs projets ;-)
Je sais ce qu'est la crispation que peut procurer une lecture, il n'y a rien de plus agaçant !
RépondreSupprimerEt ce qui est encore plus agaçant, c'est que, même en étant conscient que c'était peut-être/sans doute l'objectif de l'auteur, je n'ai pas réussi à me défaire de cette énôôôôôrme gêne.
SupprimerAngélique Villeneuve s'est inspirée d'un reportage sur une famille australienne qui avait fait le choix de ne pas dévoiler le sexe de leur enfant. Il y a donc une réalité à la base de cette fiction (même si cela parait curieux, comme choix).
RépondreSupprimerElle pointe du doigt des réactions extrêmes (le mari de Maria et les parents du bébé) pour inciter le lecteur à s'interroger sur "le genre" mais aussi sur la place des grand-parents, leur positionnement par rapport à l'éducation des petits-enfants...
Dommage que tu n'aies pas accroché. Tu pourrais tenter "les fleurs d'hiver", vraiment très bon. "Maria" n'est pas mon préféré, bien que j'aie aimé ce roman plus que toi. J'ai aimé qu'il me bouscule et me fasse réfléchir.
J'aurais aimé que ce roman me bouscule et me fasse m'interroger, or il n'a fait que m'agacer. Pas par son/ses sujet(s) mais par les positions rigides et radicales qui y sont décrites. Tout simplement parce que c'est un comportement qui tend à se généraliser dans la société actuelle.
SupprimerSous couvert de "liberté de pensée et d'être", de plus en plus de personnes (j'avais écrit "courants") s'autorisent à s'exprimer haut et fort sur des sujets qu'ils défendent (trop souvent sans même les maîtriser, mais ça, c'est encore une autre affaire). Qu'ils se mobilisent pour une cause qui leur tient à cœur, très bien, bravo. Mais que, sous prétexte de défendre cette cause, ils refusent à d'autres la liberté de penser autrement qu'eux, allant même parfois jusqu'à user de moyens peu recommandables, voire de violence, je ne suis plus d'accord. Et ça me met dans une fureur pas possible. Comme je l'ai été tout au long de la lecture de ce roman.
En ce sens, Angélique Villeneuve a parfaitement réussi son coup avec moi.
Je comprends très bien ce que tu veux dire. Je n'aime pas non plus les gens qui imposent leurs idées par la violence. La fin ne justifie pas les moyens.
SupprimerAprès l'Australie, le Canada : voilà ce que j'ai trouvé ce matin.
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