Dancers, Jean-Philippe Blondel



Après la peinture (La mise à nu), l'écriture (Le groupe), la musique ((Re)play), le théâtre (Double jeu) ou la photographie (Mariages de saison), Jean-Philippe Blondel repart explorer les sentiments humains à l'aune de l’art, ici la danse.

1 fille, 2 garçons, 3 possibilités.
3 adolescents, chacun portant son drame personnel. 3 adolescents réunis par le même amour de la danse, qui envisagent chacun la danse au prisme de leurs fêlures :
Anaïs se raccroche à la danse comme à une dernière chance après avoir sacrifié son enfance pour une carrière avortée de gymnaste.
Adrien, fils unique d’un couple de sourds-muets, vit la danse de façon quasi-animale, comme un exutoire à la rage qui l’habite.
Sanjeeva, jeune immigré sri-lankais, considère que la danse est un art de vivre, un acte spirituel.
On n'appartient pas à un pays. On appartient aux gens que l'on rencontre. (p. 58)

Ces trois blessés de la vie, outsiders du bonheur, vont se découvrir les uns les autres, s’attacher les uns aux autres, s’éloigner les uns des autres pour mieux se retrouver ensuite, essentiels les uns aux autres, inséparables dans l’amour et l’amitié la plus profonde (On s'est connus, on s'est reconnus / On s'est perdus de vue, on s'est r'perdus d'vue / On s'est retrouvés, on s'est réchauffés / Puis on s'est séparés)

Avec la justesse et la délicatesse auxquelles il nous a habitués, Jean-Philippe Blondel sonde les émotions adolescentes et les relations souvent complexes entre jeunes. Son incursion dans le monde de la danse lui donne l’occasion d’exalter la sensualité des corps.
Malheureusement, je n’ai pas été touché comme j’aurais dû l’être par cette histoire de triangle amoureux adolescent. Le message « éducatif » reste trop visible sous le tableau générationnel : la différence, le handicap, la tolérance, l’immigration, l’intégration, le dépassement de soi…
On ne manque pas de thématiques sujettes à réflexion, idéales pour dissertations et autres devoirs de philo :
Aujourd'hui, tout le monde serait apparemment prêt à accepter que sa fille soit gardienne de foot ou boxeuse, et que son fils entre dans la haute couture ou se passionne pour le maquillage. Ou la danse. Laissez-moi en douter. (pp. 10-11)

La première chose que tu apprends quand tu es un garçon et que tu ne vis pas dans une capitale, c'est omettre. Passer sous silence. C'est exactement ce que j'ai fait pour la danse. Je n'ai jamais parlé des cours que je suivais en ville. Ni de l'option pour laquelle je me suis inscrit dans ce lycée dont mon collège ne dépend pas. Motus. Les autres, ceux qui me côtoient au village, je suis sûr qu'ils sont tous au courant et qu'ils se moquent derrière mon dos, mais devant moi, rien, pas un mot plus haut que l'autre. Tant qu'on ne nomme pas la réalité, elle a encore une chance d'exister.  (p. 11)

- Je ne sais pas comment expliquer, parce que ce n'est pas très clair encore pour moi non plus. Mais je n'ai pas envie de te voir partir. Tu... ah, merde, j'ai pas l'habitude de dire des trucs pareils. Tu fais partie de ma vie, voilà.
- Tu me proposes un ménage à trois ?
- Je ne propose rien parce que c'est Anaïs qui décidera. Et surtout parce que je ne veux pas d'étiquette. Ce que je suggère, si tu veux, c'est de défricher de nouvelles routes.
(p. 142)


Évidemment, je garde à l’esprit que ce roman s’adresse avant tout aux young adults ; n’empêche, la mule est un peu chargée et les sujets pas toujours amenés subtilement, même pour des ados.
Un autre détail est venu polluer mon plaisir de lecture : les références musicales. De ces trois gamins, pas un n’écoute de rap français ou US (Sanjeewa n'aime pas ça, mais les autres ?), de r’n’b, d’électro, pas même de variétoche standardisée qui fait la fortune du grand black à lunettes de soleil ou du ténébreux gitan… Aucun des ados que je connais n’écoute les artistes et les chansons cités par l'auteur (mais en revanche, I’m Wasting My Young Years, Free, Cry Me a River ou Say Something figurent  toutes dans mon baladeur mp3... et probablement dans celui de l'auteur également). Je ne peux pas croire qu'il existe un tel fossé entre la jeunesse de province et celle de la capitale... Même les minets du XVIe écoutent du hip hop.

Enfin, je vais finir par un petit coup de gueule "corporatiste" : tant qu’à éduquer les jeunes générations à défendre la tolérance et l’acceptation de la différence, j’aurais aimé ne pas lire ça :
« J'aurais pu – j'aurais dû – sortir un autre terme, la situation en regorgeait, “égoïste”, “égocentrique”, “méprisant”, “puéril”. J'aurais pu aller jusqu'aux insultes, il aurait encaissé. Même "autiste", je crois ne lui aurait pas fait le même effet. » (p. 130) 
Dont acte.

*   *   *   *   *   *   *

« Jean-Philippe Blondel a su dans le choix de ses mots exprimer à la fois les mouvements du corps, mais aussi les mouvements de l’âme de ces adolescents en recherche de sécurité et de partage, et qui se cachent derrière une volonté affichée d’autonome et de fierté. Dancers exprime tout ce que le porté en danse signifie de lâcher prise et de confiance en son partenaire, et combien il est précieux de grandir dans un monde où chaque porté est réussi. »   Antigone

« La plume de Jean-Philippe Blondel sonne juste, qu'elle s'adresse à des adultes ou à des ados (ici dès 14 ans). [...] toujours la délicatesse, la dignité, la culture qui, si elle ne sauve pas, permet au moins de s'exprimer. Tendu et passionnant. »   Cuné

« Jean-Philippe Blondel est toujours maître dans l’observation et l’écriture de l’intime. Quant à la fin, je reste un peu en suspens, je ne suis pas sûre de l’interprétation qu’il faille en faire. Du bon boulot, mais qui a pour moi un goût d’exercice (bien) appliqué, sans le petit plus qui aurait pu m’enthousiasmer. »  Laure

« L’auteur excelle dans la description des sentiments de ces trois adolescents et dans l’analyse de ce que le sport traduit de celui qui le pratique. En tant que sportive dans l’âme, je peux vous affirmer que ses propos sont pertinents et font écho. »   Saxsaoul

Jean-Philippe Blondel - Dancers (Actes Sud Junior, 2018)

Commentaires

  1. Ton billet me renvoie à ma lecture de Blog (publié dans la même collection), j'avais fait les mêmes reproches au livre que ceux que tu formules pour Dancers. D'ailleurs nous en avions discuté avec l'auteur. Bon, je vais tenter Dancers malgré tout et je verrai bien...

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    1. Je me souviens qu'à l'époque, certaines voix s'étaient fait entendre sur certains points touchant la crédibilité des relations entre le père et le fils de Blog
      Oublie ce que tu viens de lire au sujet de Dancers et laisse-toi tenter. J'ai surtout lu de bons échos sur ce livre, alors tu ne prends pas beaucoup de risques :-)

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  2. Je comprends un peu ta référence à la chanson de jules et Jim. Ceci étant, tu vois où j'en suis question musicale, je ne comprends même pas de quoi tu parles, alors, Blondel... Faut dire que je ne suis plus ado.
    Et c'est quel style, leur danse? Classique, contemporaine, hip hop, etc?

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    1. Ici, il s'agit principalement de pop, anglaise et américaine mais qui sait, peut-être qu'un jour JP Blondel abordera l'univers du classique et de l'opéra ;-)
      Leur chorégraphie, comme je l'ai imaginée, serait un mélange de contemporain, modern jazz et hip-hop.

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  3. Je crois que c'est le premier billet que je lis dans ce sens, je me sens moins seule !
    Peut-être y a-t-il une contrainte plus forte à écrire pour les ados mais l'exercice est trop visible ici, même s'il reste très bien fait.

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    1. C'est vrai que tous les avis que j'ai lus sont plus qu'emballés. Bien sûr, je ne suis pas la cible première du roman, mais même en en tenant compte, il m'a semblé comme toi que "l'emballage" sentait trop le fabriqué (effectivement, les contraintes sont nombreuses en littérature jeunesse), parce que pour ce qui est du rendu des relations et des sentiments, c'est toujours juste.
      Peut-être aussi que la trame de la toile m'est apparue plus clairement parce que j'ai beaucoup lu JPB et que ses manies me sont plus visibles... Sans doute est-ce aussi pour cela que je suis moins complaisant... D'ailleurs, je m'étonne que l'éditeur n'ait pas été plus exigeant.

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  4. Ouch ta dernière citation est vraiment violente. Je suis assez intolérante avec le détournement de certains mots en insultes (il y en a beaucoup d'autres malheureusement). J'ai beaucoup aimé "La mise à nu", mais je ne suis pas du tout une inconditionnelle de Blondel, je vais faire l'impasse.

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    1. Pour être tout à fait franc, il y a deux ans de ça, je ne suis pas certain que ce passage m'ait choqué plus que ça. Les choses étant ce qu'elles sont, c'est vrai que j'ai trouvé ça plutôt rude. Et j'ai trouvé ça d'autant plus choquant que ça s'inscrit dans un contexte général bienveillant et de lutte contre les préjugés.

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  5. Je ne retrouve pas du tout "ma" lecture dans ce que tu écrit. Question musique, je n'y connais vraiment pas grand chose alors je ne peux pas rebondir sur ta remarque. Concernant ta dernière citation, je rejoins totalement Céline. A force, ça rendre dans le langage et on ne s'en rend même plus compte... Je comprends que tu aies été heurté (et peut-être même plus). Ce serait bien d'échanger avec l'auteur à ce sujet pour avoir son point de vue. C'est quelqu'un d'ouvert et je pense qu'il répondrait.

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    1. Pour avoir eu l'occasion de discuter quelques fois avec JPB, je sais qu'il ne s'agit que d'une maladresse. Comme tu le dis, ça fait partie des expressions qui rentrent tellement dans le langage courant qu'on n'a plus conscience de leur réelle signification (on a même entendu plus d'un politique l'utiliser ces derniers temps). Je ne suis pas épargné par ces mauvaises habitudes...
      Il s'avère que dans le cas présent, ça me touche de près, alors j'y suis forcément plus sensible. Sans faire de prosélytisme, j'essaie à mon niveau de sensibiliser et de changer le regard des gens sur l'autisme. En deux ans de temps, je peux te dire que mon regard sur l'autisme a subi un lifting complet ! ;-)

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  6. Cette dernière phrase est inadmissible et malheureusement trop souvent employée à tort et à travers, sous la forme d'une insulte, un peu comme les insultes homophobes... Et on laisse faire, bien trop souvent ! Et je comprends que tu en aies été meurtri. Quant au roman de Blondel, je ne le lirai sûrement pas parce qu'à chaque fois que j'ai essayé de lire cet auteur j'ai été déçue, aussi bien en littérature jeunesse qu'adulte !

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    1. Pour être franc, j'ai été étonné, plus que meurtri, de lire ça chez quelqu'un comme JPB. C'est dire si l'autisme est un sujet très mal connu en France. Les choses commencent à évoluer un peu... Espérons que ça mettra moins de temps que pour les insultes homophobes ;-)

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  7. Aïe.... Bon, j'aime beaucoup Blondel, surtout en jeunesse d'ailleurs... et je pense que je vais lui laisser le bénéfice du doute pour celui là. Même si il ressort quand même que ce n'est pas son meilleur ("maladresses" comprises...)

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    1. Blondel est un auteur que j'affectionne aussi et ces derniers temps, plus en jeunesse qu'en littérature générale, mais cette fois-ci, ça ne l'a pas fait.
      Tu as raison de lui laisser le bénéfice du doute car sur cette affaire-là, je fais quand même figure de vilain petit canard, alors ça serait dommage de te priver d'un bon moment...

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  8. J'ai beaucoup vu cet auteur sur les blogs mais je n'ai encore rien lu de lui ( je connais mal les auteurs jeunesse). Visiblement, il ne vaut mieux aps commencer par celui-là...

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    1. L'avantage avec JPB, c'est qu'on peut aussi l'apprécier en littérature générale. Si tu as envie de le découvrir, je te recommanderais particulièrement deux de ses premiers romans : "Accès direct à la plage" et "Juke-box".

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