Einstein, le sexe et moi, Olivier Liron

Olivier Liron (Alma, 2018)

« Je suis autiste Asperger. Ce n’est pas une maladie, je vous rassure. C’est une différence. »
Je pourrais faire mien l’incipit du roman d’Olivier Liron chaque fois qu’en société je me trouve obligé de me présenter, ce qui chez les neurotypiques signifie, outre décliner mes prénom et nom, devoir préciser ma profession pour que mon interlocuteur puisse me situer (plus souvent à tort qu’à raison) sur l’échelle sociale, position qu’il a déjà évaluée (là encore, plus souvent à tort qu’à raison) au premier coup d’œil, quelques secondes auparavant, d’après mon accoutrement.
Les présentations, voilà un exemple de convention sociale, ou plutôt de mode de fonctionnement, naturel à la majorité des personnes, sans que cela ne leur pose jamais le moindre problème, mais qui est toujours une situation embarrassante pour un autiste Asperger. Car non seulement il ne fonctionne pas ainsi, mais il ne comprend même pas en quoi connaître la position sociale d’une personne peut être subordonnée à sa valeur en tant qu’être humain ou à l’intérêt de sa conversation.
Je parle en connaissance de cause : mon voisin immédiat me voue une haine tenace depuis une dizaine d’années au motif que j’ai été le seul invité à sa pendaison de crémaillère à ne pas lui demander « ce qu’il faisait dans la vie ». En un seul coup, je lui ai volé l’occasion de s’épancher sur son métier, dont il tire une petite gloire (je ne sais pas pourquoi car il n’est jamais que vidéaste et n’est ni Orson Welles, même pas Palme d'Or) et je suis passé illico pour un prétentieux à ses yeux.

Cette petite anecdote pour dire, en plus de vous faire sourire, que si j’ai voulu lire le roman d’Olivier Liron, c’est pour savoir comment ça s’était passé pour lui, diagnostiqué "tardivement" à 29 ans, comment il gérait sa condition d’Asperger. Et certainement pas parce que j’avais envie d’en savoir plus sur les coulisses d’un jeu télévisé populaire. (rien que le concept de compétition me révulse et la simple idée de m’exposer ainsi devant des millions de personnes réveille mon ulcère gastrique !)

Depuis que j’ai lu Einstein, le sexe et moi, le roman a fait son petit chemin. Très actif sur les réseaux sociaux, Olivier Liron a su fédérer une communauté de lectrices, le bouche à oreille a très bien fonctionné et l’auteur n’est pas avare en interviews. Sélectionné dans la première liste du Fémina, le roman est toujours en lice pour le Grand Prix des Blogueurs Littéraires. Dans une écrasante majorité (qui frise l’unanimité), les retours sur le roman sont à minima enthousiastes.

« Émouvant », « attachant », « attendrissant », « bouleversant »... peut-on lire régulièrement dans les avis. On croirait entendre parler au mieux d’un chaton mignon, au pire d’une personne qu’on plaint et qu’on prend en pitié.
Pour le coup, inutile de dire que je n’ai trouvé Olivier Liron ni attendrissant, ni bouleversant. Certes il évoque les sévices qu’il a dû endurer à l’école du fait de sa différence. Il aborde également l’exil de sa grand-mère et de sa mère qui, fuyant le franquisme, sont venues se réfugier en France. Des émotions, j’en ai ressenti, mais certainement pas de compassion. De la colère, oui, contre la bêtise de ses persécuteurs (qui devaient très certainement ressembler aux miens), contre l’indifférence du personnel éducatif.  De la souffrance, aussi, à la pensée que sa mère s’est sentie obligée de se couper définitivement de ses racines pour devenir française. Mais de la compassion, jamais.

« Sincérité », « sans (fausse) pudeur », « sans filtre »... sont autant de marques d’incrédulité de la part des personnes étonnées qu’il soit possible de parler de soi, publiquement qui plus est!, sans chercher à tout prix à se montrer sous son meilleur jour.
Là encore, la franchise n’est pas ce que je retiendrai. On sait que l’autiste, sans filtre (ou presque), attend des autres la même honnêteté et ne comprend pas l’intérêt du mensonge, source de malentendus. Donc, rien que de très normal (hé oui !) pour moi ici. Je n’en attendais pas moins de sa part.

« Drôle », « brillant », « bien observé »... là, je ne peux qu’acquiescer. Olivier Liron a choisi de calquer sa narration sur le tempo des différentes épreuves du jeu télévisé auquel il a participé et a été proclamé à 25 ans plus jeune Super Champion de l’histoire du jeu. Ainsi, il nous fait entrer dans les coulisses du jeu, croque les portraits drôlissimes de ses adversaires et de l’animateur.
Dans le flot de questions posées aux candidats, certaines, par association d’idées, vont évoquer à l’auteur-candidat des épisodes de sa vie. Et tout n’est pas rose dans le parcours d’Olivier.
Pour tenir la douleur et la peine à distance, il joue la carte de l’humour et de l’autodérision avec une certaine jubilation. Cette politesse du désespoir non seulement le préserve de tout pathos mais crée immédiatement une connivence avec le lecteur, plus attentif alors à ce qu’il dénonce : la violence à l’école, l’exclusion, la peur de la différence et son corollaire, la dictature de la norme.

Roman autobiographique, Einstein, le sexe et moi (titre pas vraiment représentatif de l’esprit du roman, contrairement à son sous-titre « romance télévisuelle avec mésanges ») raconte une revanche sur la vie. La revanche de cet enfant auquel les autres ont renvoyé sa différence au visage, insulté et violenté à l’école ; un « gogol » qui, au titre de Super Champion, peut arborer celui d’agrégé, car le "freak" a fait Normale Sup.
Le gamin a transformé les brimades en une rage qui a alimenté son envie de tout bouffer sur son passage : ses condisciples d’école, ses adversaires à Questions pour un Champion, mais aussi la vie qu’il croque désormais à pleines dents en s’adonnant à la littérature, au théâtre et à la danse contemporaine.
J’ai passé un bien agréable moment en compagnie d’Olivier Liron dont le parcours, par ses similitudes m’a forcément renvoyé au mien, bien moins brillant que le sien. Toutefois, sans doute du fait de mon vécu, je suis loin de l’extatisme convulsif général.

Einstein, le sexe et moi - Extraits

Petit aparté : j’ignore si cela a chagriné Olivier Liron, mais à sa place, j’aurais été hyper contrarié de trouver des coquilles dans mon livre tout juste sorti des presses. Alors, si jamais ça peut aider pour un prochain tirage...
p. 12 Parfais, au téléphone….
p. 20 Elle […] farfouille dans les cintres et m’en        une verte
p. 125 Il suffisait de mettre d’un peu de méthode pour optimiser…

Olivier Liron - Einstein, le sexe et moi (Alma, 2018)

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« Ce livre, par son humilité et sa sincérité, redéfinit le pouvoir de l’écriture et apporte à la littérature un message de résilience : une différence n’est pas un handicap, bien au contraire, c’est parfois grâce à elle que l’on dépasse ses limites. Un roman à lire et à offrir, un bijou ! »   Agathe the Book

« Ses mots détiennent du bon sens, servis avec humour pour ne jamais entrer dans le pathos. J’ai ri, oui, de cette situation au jeu si bien décrite. J’ai été émue, aussi, de ce tête à tête avec l’auteur. »   Héliena

« D’après les retours entraperçus ici et là sur Einstein, le sexe et moi, il me tardait de le lire. Je ne vois que des éloges. Pour moi c’est raté. Tant pis. J’ai complètement conscience que c’est à cause de mon expérience dans le jeu. Mais tant pis. »   Natiora

« Olivier Liron construit son roman comme un polar, faisant durer le plaisir et le suspense, ses apartés jouant le rôle de repos du lecteur mais aussi avec son impatience à connaître le dénouement de la partie. »   Yv

Commentaires

  1. Oui, donc ta lecture correspond exactement à l'idée que je me faisais a priori de ce roman. A moins d'un hasard, je pense donc que je vais passer mon tour.

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    1. Attention, il ne faut pas bouder son plaisir : c'est une lecture très agréable. Ça n'a juste pas été pour moi LE chef d'oeuvre incontournable.

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    2. Oui, rassure-toi, j'ai bien saisi que ce n'était pas un mauvais livre pour autant. Mais ce que tu soulèves en répondant à Aifelle juste en dessous, que j'ai abordé dernièrement à la fin d'une de mes dernières chroniques aussi parce que ça me taraude pas mal, est précisément ce qui me dérange... Je verrai éventuellement à le lire plus tard, lorsque les éloges se seront tassés, pour être plus objective. En attendant, ça a le don de me rebuter.

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    3. Je pense que tu fais bien. Mieux vaut patienter un peu, attendre que tout le bruit s'atténue et la surprise n'en sera que meilleure. En tout cas, c'est ce que je te souhaite.

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  2. Tes bémols sont les bienvenus, je me méfie toujours des livres encensés au delà du raisonnable .. Mais je sais que je lirai celui-ci, c'est une question de temps.

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    1. En fait, mon unique bémol tient au décalage du plaisir que j'ai pris à lire cette histoire avec le poids que les lecteurs lui donnent dans le paysage littéraire. Pour parler franchement, j'ai l'impression que ce roman n'est pas apprécié pour les bonnes raisons et ça me désole. J'ai bien peur que dans l'emballement général autour de ce livre, le fait que l'auteur soit autiste pèse plus lord que ça ne devrait.
      J'ai le sentiment (et c'est mon ressenti, donc ça n'engage que moi) qu'on s'extasie devant son livre (et ses aventures) comme il est de rigueur de s'extasier devant les pseudos exploits (du genre, premiers pas, premier "papa", première chute à vélo...) d'un enfant devant lequel on fond. Et je ressens cela comme très condescendant (d'où ma remarque sur les chatons). Le roman serait-il porté de même aux nues si l'auteur n'avait pas fait état de sa condition ? Les avis ne seraient-ils pas davantage rationnels qu'émotionnels si les lecteurs avaient une connaissance de l'autisme qui dépasse les clichés qu'ils en ont ? Voilà des questions que je me pose.
      Ce malentendu (ou ce que je perçois peut-être à tort comme tel) que je déplore n'enlève rien aux qualités du livre dont le propos va au-delà de l'autisme, pour dénoncer le rejet de toutes les différences. Rien que pour cela, il faut le lire. Et en plus, on sourit souvent aux traits d'humour de l'auteur.
      (PS : je te remercie pour ton commentaire. Je viens de me relire et je m'aperçois que tu m'as permis de mettre le doigt sur ce qui me gênais le plus et que je n'étais pas arrivé à exprimer clairement dans mon billet)

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    2. Merci de tes éclaircissements ; ce que tu expliques là, je crois que je le sentais confusément en lisant les billets un peu trop dithyrambiques et où la différence de l'auteur prenait trop de place. Je vais attendre un peu de me débarrasser de ces impressions-là avant de l'entamer.

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    3. Je fais la même chose que toi dans des cas similaires, je laisse décanter tout ce que j'ai pu engranger jusqu'à parfois ne plus me rappeler de rien, et je commence la lecture vierge de tout a priori.

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  3. J'ai lu récemment L'autisme expliqué aux non autistes (je me soigne, donc! ^_^) de Brigitte Harrison (et deux autres), clair, complet, pour ce que j'en sais; j'ai pas mal appris et compris certaines choses.
    Ha bon faut demander ce que les gens font? Ou alors c'est que je sors peu... Ou alors c'est que c'est déjà dans le milieu professionnel. Ou alors c'est que ce n'est pas vraiment important. Et j'ai fini par me demander si je le demande aux gens? Oui, mais vraiment pas tout de suite...

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    1. Je l'ai lu également et c'est vrai que ce bouquin est bien fait. Il faut dire qu'au Québec, ils sont beaucoup plus en avance que nous sur le sujet.

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    2. J'ignorais que le Québec était en avance sur le sujet. C'est vrai qu'on en parle beaucoup et que plusieurs mesures inclusives sont mises en place.

      Par ailleurs, je trouve ton billet extrêmement précieux... Ta remarque sur les chatons vient me toucher! Tu mets le doigts sur le pourquoi de mes réticences à lire ce récit.

      Outre ça, vive la différence. La différence, c'est la richesse. Et... j'aimerais bien rencontrer un éboueur. J'aurais tellement de questions à lui poser.

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    3. Tu ne peux même pas imaginer le retard de la France par rapport à chez vous sur cette question (et bien d'autres, malheureusement) !!!
      Je pense que la meilleure façon d'apprécier ce roman à sa juste valeur est de l'appréhender sans commisération, ni apitoiement.

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  4. En fait j'ai parfois hésité à donner ma profession complète, craignant les réactions habituelles. ^_^

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    1. Tu vois, tu hésitais parce que tu savais que tu allais être cataloguée d'office...
      Ça me rappelle la remarque que m'avait faite un type que j'avais rencontré à l'occasion d'un voyage qui s'étonnait que je sympathise avec lui alors qu'il était éboueur. Lui aussi était plus que réticent à annoncer son métier quand le moment arrivait. Tu es éboueur, et alors ? Si tu es sympa et qu'on peut discuter et passer un bon moment, il est où le problème ?

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  5. Je viens de le terminer et je trouve que l'auteur ne fait qu'effleurer ce que tu soulèves dans ton article. C’est dommage j'aurais aimé que la réflexion soit bien plus approfondie.

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    1. Je comprends ton sentiment. En même temps, je ne suis pas certain que le format de la narration s'y prêtait, ni que ça ait été l'objectif de l'auteur (mais je ne suis pas dans sa tête, et heureusement pour moi, j'ai déjà suffisamment de mal avec la mienne !!!).
      Mais au moins, on peut dire que ce livre est une bonne porte d'entrée pour qui veut creuser le(s) sujet(s) :D

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  6. Même commentaire que Lili. Et je te rejoins sur les risques d'enthousiasme lié à une info sur l'auteur plutôt que la qualité du livre... on passe par le pathos, ce n'est pas publiquement correct de ne pas être touché, bouleversé ( à compléter ). Tu vois, c'est ce qui s'est passé pour moi avec la fameuse BD Monstres, j'ai tellement entendu la biographie de l'auteure...
    Sinon, j'ai adoré ton premier paragraphe. C'est terrible que les gens se sentent obligés de mettre les autres dans des cases, des classes même , ça doit les rassurer de limiter. Et de l'être.

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    1. Dans ce cas là, ce qui me gêne, c'est que cet engouement a un côté politiquement correct, qui confine parfois au condescendant. Comme si on n'avait pas le droit d'émettre la moindre petite critique ou que l'on était plus enclin à s’extasier du seul fait que l'auteur est "différent".
      En disant cela, je ne descend pas le livre que j'ai bien aimé, je le répète. Je dis simplement que les raisons de la liesse générale sont erronées à mes yeux. Ça n'en retire rien aux qualités du livre.
      Pour ce qui est des "Monstres", je n'ai appris la biographie de l'auteur qu'après avoir lu l'ouvrage. C'est vrai que je me suis dit alors : "C'est encore plus fort!", mais je trouvais déjà que la BD était extraordinaire.

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  7. C'est rigolo car je suis passée complètement à côté de ce titre sur les blogs ! Je pense qu'il pourrait me plaire et me toucher, d'autant que je n'ai pas été happée par la liesse généralisée ! Je vais donc éviter de lire trop de chroniques dessus avant de le lire moi même :-)

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    1. Tu vas pouvoir aussi apprendre à mieux connaître l'auteur qui vient d'être lauréat du 2e Grand Prix des Blogueurs Littéraires :D

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  8. Je l'ai fini hier soir et je l'ai trouvé fort plaisant, drôle et bien construit. Je te rassure, s'il me semble avoir relevé une coquille (mais j'ai oublié de la noter), celles que tu cites ont été corrigées dans mon tirage.

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  9. Chouette, deux bonnes nouvelles dans ton message. Ça doit être ça, l'esprit de Noël ;-)

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  10. C'est clair que si ce livre avait été écrit par un type lambda, il n'aurait pas autant attisé la curiosité ni peut-être eu autant de succès. C'est assez tragique quand on y pense bien, ça fait un peu phénomène de foire : le brillant ouvrage écrit par un autiste Asperger... et la foule de s'amasser et s'extasier.:)

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    1. Même si j'ai émis les mêmes bémols que toi sur ce livre, pour le coup, je trouve que tu as la dent très dure 😄
      Mais je comprends le fond de ta pensée. Il est clair que "l'étiquette" autiste est un argument marketing supplémentaire (certainement à la décharge de l'auteur lui-même), tout comme, je pense, qu'elle a généré une sorte d'élan de bienveillance spontané pour le livre et son auteur.
      Reste à voir maintenant comment sera accueilli son prochain livre.

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