Récap décembre 2017



Gabriel Tallent - My absolute darling (Riverhead Books-2017)
Coup de cœur absolu. Sans doute même Ze best des best de l’année.
Billet complet ici.


Ludovic Debeurme - Un père vertueux (Cornelius-2015)
C’est d’abord, comme souvent, l’illustration de couverture, au style et aux coloris délicieusement rétro, qui m’a attiré vers cet album dont je ne connaissais ni l’auteur, ni le sujet. En le feuilletant, surprise !, une suite de dessins, au style complètement différent de celui annoncé par la couverture : des figures délimitées par de simples traits crayon de couleur, où le bleu, le violet, le rouge et l’orange dominent. De temps à autre, une brève description, quelques mots de dialogue, rien de plus. Il n’en fallait pas plus pour m’intriguer…
Ce « père vertueux », aux allures d’espion de l’ancien bloc de l’est, installe ses trois fils qu’il élève seul dans une nouvelle maison, dans un village qu’ils découvrent. Tandis que leur père est missionné pour effectuer de mystérieuses livraisons pour le compte d’hommes auxquels il semble redevable, les adolescents vont à l’école où ils se familiarisent avec leur nouvel environnement et leurs camarades… surtout féminines. Ce qui n’est pas du goût du patriarche, qui se transforme en père fouettard administrant les pires punitions à des fils. Jusqu’au jour, où il se réfugie dans la religion comme pour expier ses fautes…
Étrange histoire à l’atmosphère inquiétante, qui tient à la fois du conte horrible ou du cauchemar cruel où l’auteur traite de sujets tels que les rapports parents/enfants, l’exil des migrants, l'adolescence et l’éveil à la sexualité, le fanatisme religieux…
Même si les deux peuvent se lire indépendamment, peut-être aurais-je été moins déconcerté si j’avais lu Trois fils, le premier opus de ce diptyque.


Richard Wagamese - Cheval indien (XYZ-2017)
Encore une fois, c’est sa couverture qui a porté mon attention sur ce roman. La 4e de couverture m’a évoqué les romans de Joseph Boyden, et particulièrement Wenjack, j’ai donc succombé.
Ce cheval indien, c’est Saul Indian Horse, un Ojibwé interné à huit ans à St Jerome, un pensionnat autochtone du nord de l’Ontario, au Canada, administré dans les années 1960 par des prêtres blancs catholiques. Dans ce qui tient plus d’un centre de redressement, pour ne pas dire d’une prison, les enfants sont les victimes permanentes de l’autorité abusive des religieux (punitions corporelles, humiliations, acculturation, rigueur quasi-militaire…) censée faire d’eux de bons citoyens canadiens, plus blancs que blancs. Et s’il se sort mieux de ces mauvais traitements que certains de ses condisciples, Saul est victime de l’ostracisme de ses camarades qui le considèrent comme un « Zhaunagush » (homme blanc, en langue ojibwé) au prétexte qu’il sait lire et écrire l’anglais, contrairement à eux.
Quand il découvre le hockey, il entrevoit un moyen de se sortir de sa condition. Encouragé par le père Leboutilier, il va apprendre à maîtriser les patins, pour devenir un joueur hors-pair malgré son petit gabarit, source de moqueries. Jusqu’à ce qu’un entraîneur le repère et vienne le chercher quelques années plus tard pour jouer avec les Moose (orignaux), une équipe autochtone. Plus tard, sélectionné pour jouer dans une équipe professionnelle nationale, il va découvrir l’envers de ce sport synonyme pour lui de liberté.
Nul besoin d’aimer le sport, ni même d’être fan de hockey, pour apprécier ce beau roman (publié dans une autre traduction sous le titre de Jeu blanc), en partie autobiographique, sur la perte d’identité, l’acculturation, le racisme, mais aussi sur les origines, la résilience, le pardon et la renaissance.


Marc-Antoine Mathieu - Otto, l'homme réécrit (Delcourt- septembre 2016)
Alors qu’il est au sommet de son art, Otto Spiegel, artiste-performer, est en pleine crise existentielle quand ses parents décèdent. En plus de la maison familiale, ceux-ci lui lèguent une malle contenant documents écrits, audio, vidéo… retraçant en temps réel l’intégralité de ses 7 premières années de vie. Il décide alors de s'isoler afin de partir à la découverte de lui-même et de son enfance dont il n’a que très peu de souvenirs.
Qu’est-ce qui fait que nous sommes ce que nous sommes ? Est-on maître de notre existence ? Le libre-arbitre est-il un leurre ? Dans ce récit introspectif, Marc- Antoine Mathieu invite le lecteur à un voyage de « psychonaute », une enquête vertigineuse, fascinante et troublante sur l’individualité et le sens de l'existence. Sobre et épuré, le dessin noir et blanc est superbe, d’une richesse incroyable, souligné par un texte en dessous de presque chacune des deux cases par page.
Cette apparente sobriété cache une démarche philosophique très dense qui pousse le lecteur à s’interroger sur sa propre existence, dans une sorte de mise en abime sans fin, à l’image du ruban de Möbius qui apparait à plusieurs reprises. Le récit est si plein de sens et de symboles*, les dessins si riches en détails que je sens bien que je n’en ai pas saisi toute la teneur ; je serai ravi de m'y replonger plus tard. 
Une découverte totale (encore une !) qui m’a fasciné.
* le nom du personnage en est l’exemple le plus évident : Otto (nom palindrome) Spiegel (miroir en allemand)

Pourquoi retourner dans le passé ? À quoi bon en savoir plus sur soi ? On s'aime, on s'accepte surtout dans un monde idéal... Même très peu idéalisé, on reste fréquentable à soi-même -et à l'autre-, mais passé un certain seuil de vérité, la déception est probable. (p. 28)

Otto avait enfin un miroir à a mesure, un vrai défi : la malle constituait un matériau nouveau sans précédent ; un miroir parfait, sans faux reflet.
Il avait passé trop d'années à se chercher sans jamais oser se perdre. Il tenait là l'occasion de faire le grand saut, d'aller explorer là où personne n'avait jamais pu s'aventurer jusqu'alors : aux confins de soi-même.
(p. 32)

Le document sonore 5-305 décrivait la chute inopinée du modèle suspendu au-dessus de son lit d'enfant. Ce souvenir rejaillit en lui avec une densité particulière. Il sentit confusément que ce fait anodin l'avait profondément impressionné et que sa vie entière en avait été changée. Dans un bref éclair de conscience, il entraperçut que des faits et gestes précis en avaient découlé. Il ne pouvait les désigner, mais il savait qu'ils existaient. (p. 40)

Le temps passant, Otto développa la faculté de lire dans les faits les plus infimes les répercussions futures qu'ils avaient engendrées [...] En déchiffrant la contingence, Otto réalisait qu'elle résidait partout : des faits totalement anodins l'avaient transformé de manière irréversible tandis que d'autres fait apparemment décisifs avaient laissé peu de traces.(p. 42)

Il devinait aussi une autre part d'héritage plus lointaine : celle de temps plus anciens. Tout ce qui lui avait été transmis indirectement avant sa naissance. Il la décelait en creux entre les lignes. "Tout nous échappe, et tout nous est donné..." (p. 43)


Edward Gorey - The gashlycrumb tinies (Simon and Schuster-1963)
Balade jubilatoire aux sources de l’univers de Tim Burton.
Billet complet ici 


James Han Mattson - The lost prayers of Ricky Graves (Little A-2017)
Ricky n’a qu’une envie : partir de El Monte Springs, petite ville du New Hampshire, où il se sent différent et exclu, pour rejoindre la Mecque des homos, San Francisco et vivre enfin sa sexualité en plein jour. En attendant, le lycéen vit toujours chez sa mère. Seul Internet lui offre un semblant de liberté. Là, il trouve des personnes attentives auprès desquelles il peut s’épancher, trouver réconfort et conseils. Ricky va aussi découvrir l’effet pervers d’Internet : victime d’un canular monté par d’autres lycéens, il se retrouve humilié sur les réseaux sociaux. Désespéré, il va commettre l’impensable en tirant sur ses harceleurs et en retournant l’arme contre lui.
La narration se fait par la succession des voix de personnes qui ont toutes un lien avec Ricky, famille, amis, victimes, témoignages entrecoupés parfois par la transcription d’échanges électroniques (emails et chatrooms). De ces différents points de vue à la première personne émerge le déroulé des événements, l’avant, le pendant et l’après quand les survivants, responsables ou non de l’« incident », tentent de recoller les morceaux et de vivre chacun avec sa culpabilité.
Inspirée par le suicide de Tyler Clementi, cet étudiant qui s’est jeté du point George Washington après que son camarade de chambre ait publié sur le net une vidéo où on le voit embrasser un autre garçon, cette histoire aborde la difficulté pour un ado gay d’assumer sa sexualité dans une petite ville conservatrice, ou encore la vraie nature des relations humaines, tant virtuelles que physiques, dans un monde hyper connecté…
Des personnages bien marqués, des questions de société très contemporaines, un premier roman très réussi.
Extraits

Commentaires

  1. J'ai bien noté My absolute Darling, d'autant que j'ai lu hier que l'auteur serait aux Quais du Polar... Gallmeister fait bien les choses !
    Quand à Richard Wagamese, j'ai du retard, si on peut dire, je n'ai lu que Les étoiles se lèvent à l'aube (adoré).

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  2. Tout le monde semble avoir adoré (et parfois même plus encore) 'Les étoiles se lèvent à l'aube'. Il est dans ma PAL alors il y a de fortes probabilités que je le lise dans l'année...
    Quant à 'My absolute darling', j'espère vraiment qu'il va cartonner. C'est le roman qui m'a le plus marqué cette année et je pense que je ne suis pas près de l'oublier de sitôt. Si tu vas aux Quais du Polar, j'espère que tu pourras rencontrer Gabriel Tallent qui semble vraiment abordable et sympathique dans les vidéos que j'ai pu voir.

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  3. J'ai adoré "Les étoiles se lèvent à l'aube" (et même plus encore!), beaucoup moins "Cheval Indien", pour diverses raisons.

    Tu as piqué ma curiosité pour "Trois fils". À suivre. Par ailleurs, j'attends évidemment la traduction de "My absolute darling". Tu as de la chance de lire en anglais...

    Ravie de découvrir ton blogue...

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    1. Contrairement à toi, je n'ai pas trouvé "Cheval indien" trop pathos (et je n'ai même pas vu arriver la fameuse équation prêtre etc.) mais il m'a quand même manqué quelque chose pour que ce soit un coup de cœur.
      Je lis en anglais en guise d'entrainement, histoire de ne pas perdre certains acquis. Mais ce n'est pas réellement une chance puisqu'une grande partie de la production littéraire anglo-saxonne est traduite en français et donc tous ces titres sont accessibles un jour ou l'autre. Il faut juste se montrer patient... et la patience n'est pas mon fort :)

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  4. C'est la couverture de The Lost Prayers qui m'a attirée tout de suite. Le sujet me tente, mais un peu moins le côté lycéen qui tire sur ses harceleurs. Alors, je ne sais pas trop. En revanche, la couverture de My Absolute Darling ne m'avait même pas donné envie de voir de quoi il s'agissait. J'ai l'impression d'en avoir vu des centaines de couvertures de ce genre. Le sujet m'intéresse aussi, mais là, ce serait plutôt le côté nature qui risque de me déplaire. Mais puisque tu dis que c'est Ze best des best...

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    1. Dans "The lost prayers of Ricky Graves", il s'agit surtout de comprendre les raisons qui ont mené à l'incident, des répercussions qu'il a sur la vie des différents protagonistes et de voir comment chacun "fait avec" mais jamais de l'incident en tant que tel, si c'est ce qui te fait hésiter (en e relisant, je ne suis pas certain d'avoir été très clair, mais peut-être comprendras-tu ce que je veux dire).
      Je suis d'accord avec toi sur le côté passe-partout de la couverture de "My absolute darling". Mais ça serait bien là, à mes yeux, le seul reproche à lui faire (je ne suis plus objectif, je sais). L'environnement naturel est effectivement très présent dans la vie de Turtle, mais il ne prend pas le pas sur l'action. Je ne suis pas non plus fan des descriptions contemplatives, et ici, ce n'est pas le cas.

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  5. Tu viens de me révéler le jeu éditorial avec les titres du roman de R.Wagamese. Toujours pas lu cet auteur même si intéressée ( trop vu alors j'attends, je sais, c'est puéril comme réaction :))
    Tout pareil que Kathel pour My Absolute Darling, tout bien noté, en attendant Quais du Polar.

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    1. Je ne dirais pas que c'est puéril. C'est plutôt une sorte de réflexe défensif. Moi aussi je me méfie des vagues d'enthousiasme général qui m'ont valu plus de déceptions que de belles découvertes. Mais effectivement, l'ennui, c'est qu'on peut passer à côté d'auteurs susceptibles de nous plaire...

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