Récap octobre 2015

Ryan Gattis - All involved (HarperCollins-2015)
Ce roman a tenu ses promesses jusqu’à la dernière page. Une plongée passionnante dans les émeutes de 1992 à Los Angeles.
Un auteur à suivre, assurément, qui a déclaré dans Telerama « probablement toujours écrire sur la violence ».
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François Saintonge - Le métier de vivant (Grasset-2015)
Je ne sais pas exactement ce qui m’a conduit vers ce roman. La photo de couverture, sans doute, suffisamment androgyne et troublante pour attirer mon attention. La 4e de couverture aussi, qui laissait envisager le récit d’un jeune homme recherchant son double féminin (quasi gémellaire) rencontré par hasard… Enfin c’est comme ça que je l’avais interprété.
Mal, sans doute puisque si le personnage central, Max, se pose effectivement des questions sur cette ressemblance frappante entre lui et Dionée Bennett, une américaine mariée avec laquelle il va avoir une liaison, ce thème n’est que secondaire dans le roman et on ne saura même jamais le fin mot de l’histoire. En fait, il s’agit principalement du parcours de vie de trois amis d’enfance, de la fin de la première guerre mondiale jusqu’au début de la seconde : Max, jeune privilégié oisif couvé par sa mère, de son cousin Leo et de leur ami Lothaire, affublé d’un pied bot de naissance.
On sent que l’auteur mystère (un auteur connu qui écrit là sous pseudo) est érudit et connait très bien la période de l’entre-deux-guerres. Le style, soutenu, tranche avec la production du moment et a un petit côté précieux qui colle bien à l’ambiance du récit. Pour autant, je me suis passablement ennuyé, refermant le livre sans vraiment savoir quelle avait été l’intention de l’auteur.
Extraits


Mathieu Riboulet - Entre les deux il n'y a rien (Verdier-2015)
La sexualité, et plus spécifiquement l’homosexualité, comme vecteur de conscience politique dans l’Europe des années 70, bouleversée par des actions initiées par les mouvements d’extrêmes gauche (Brigades rouges en Italie, Fraction Armée Rouge en Allemagne Action directe en France…). Le narrateur, né en 1960, se forge une conscience politique intimement liée à la sexualité (et à la lutte homosexuelle). Pour lui,la lutte politique passe par la jouissance des corps.
Un texte fiévreux (ni récit, ni roman, ni autobiographie… et tout ça à la fois) , où la colère intacte le dispute à la sexualité la plus primitive (dans le sens noble du terme).
La découverte (enfin !) d’un auteur que je n’osais aborder, le jugeant hors de ma portée. La promesse d’autres lectures aussi intenses puisque plusieurs des romans de Riboulet patientent dans ma bibliothèque.
Bonus: Marilyne a aussi beaucoup aimé. Une vidéo dans laquelle Mathieu Riboulet parle de son livre et un podcast où il en lit quelques pages.
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Mathias Enard - Boussole (Actes Sud-2015)
Enard pour moi, c’était Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, lu dans la foulée de Pietra viva, sur les conseils de blogueurs qui avaient préféré le Michel-Ange d’Enard à celui de Léonor de Recondo, qu’ils jugeaient trop froid (mais qui, moi, m’avait ému).
Ce qui me reste de ma lecture de Pietra viva, c’est tout l’aspect intérieur du personnage, ses questionnements… alors que c’est toute la richesse, tout le chatoiement de l’Orient qui me viennent à l’esprit quand je repense à Parle-leur de batailles… Et c’est tout cet Orient, réel et fantasmé par l’Occident, que j’ai retrouvé dans Boussole
Une nuit d’insomnie, le narrateur, Franz Ritter, musicologue viennois passionné d’Orient, à la façon d’un Proust dans son lit, ou d’une Shéhérazade qui veut à tout prix garder la vie sauve, ressasse les souvenirs de ses séjours en Turquie, en Iran, en Syrie et de la belle Sarah, son amour impossible.
Un prétexte pour d’Enard qui convoque les figures de grands orientalistes, musiciens, écrivains, aventuriers : Liszt, Schumann, Wagner, Beethoven, Félicien David, Julien Jâlal Eddine Weiss (Al Kindi Ensemble), Arvo Pärt, Hafez, Khayyam, Goethe, Balzac, Flaubert, Hugo, Pessoa, Mann, Hesse, Nietzche, Isabelle Eberhardt, Annemarie Schwartzbach, Marga d’Andurain… pour n’en citer que les principaux.
Le récit est sujet à digressions, sans logique tangible sinon celle des associations d’idées quand une personne laisse divaguer son esprit, et les références sont foisonnantes, et pourtant, à aucun moment, je ne me suis senti écrasé, noyé par toute l’érudition d’Enard. Au contraire, j’ai adoré voir passer des figures quelque peu familières, en découvrir d’autres au destin exceptionnel (comme Marga d’Andurain). Plutôt que de me dégoûter, Enard m’a donné envie d’approfondir mes pauvres connaissances, d’en savoir plus sur tous ces illustres personnages. Ce qui n’a pas été le cas pour Sandrine, avec qui je partage généralement beaucoup de points de vue.
Mais surtout, j’ai aimé le message « politique » du roman à savoir comment l’Occident et ses grands artistes se sont inspirés de la richesse culturelle de l’Orient, pour créer certaines de leurs œuvres les plus remarquables ; comment Orient et Occident sont intimement liés dans leur construction et leurs apports respectifs….
Un brillant exemple qui prouve que populaire et érudition ne sont pas antinomiques.
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Emilio Sciarrino - La maladie (Christophe Lucquin-2015)
Après l’emballement pour Boussole, j’ai connu la douche froide avec La maladie.
J’étais doublement content de la double découverte qui m’attendait : d’un côté, les Éditions Christophe Lucquin, petite maison d’édition indépendante qui a fait parler d’elle dans la blogo et sur les réseaux sociaux suite aux difficultés qu’elle rencontre à trouver un diffuseur. De l’autre, un récit sobre, une déclaration d’amour, sans pathos sur deux amants, dont l’un des deux, gravement malade, est cloué au lit.
120 pages petit format, grosse police de caractères, vite lu… et pourtant, j’ai trouvé le temps long. Je suis passé complètement à côté. Je n’ai pas réussi à être ému un seul instant par les atermoiements du narrateur, qui m’est apparu comme un sale enfant gâté geignard. Certaines tournures (qui auraient pu faire style, mais qui ne sont pour moi que des répétitions) m’ont agacé, tout comme les considérations relatives aux manifestations contre le mariage pour tous…
J’ai trouvé le texte apprêté, froid (quasi clinique parfois). Je crois en fait que l’approche est trop cérébrale, trop intellectuelle pour moi. Ça manque cruellement de chair, de sentiments, de tripes. Je préfère, de loin, l’approche beaucoup plus directe et charnelle d’Hervé Guibert, dont l’ombre plane sur ce récit.
Une vraie grosse déception.


Valérie Lemercier - Spectacles (Grasset-2015)
Des spectacles de Valérie Lemercier, il n’existe aucune captation tout juste quelques extraits diffusés dans des émissions ou journaux télévisés. Aujourd’hui, on peut enfin se consoler avec ce recueil qui compile les textes de ses spectacles.
Et ça fonctionne ! Je viens de faire un bond de 25 ans dans le passé en lisant les sketches de son premier spectacle au Splendid. Non seulement, j’ai retrouvé les voix des différents personnages (« 3615 J’existe », « Ta djeule, j’ai baisé ta femme », « la gicley », « La Renardière, géniââl »…), mais j’ai aussi revu leurs mimiques, leurs attitudes comme les soirs où nous sommes allés voir Lemercier sur scène.
J’ai passé un très bon moment même si la reprise d’un spectacle à l’autre de certains sketches à peine resucés, m’a autant agacé que quand je les ai (re)(re)vus en « live ». Une lecture pour les inconditionnels de Lemercier qui risque d’en laisser certains, comme Cathulu, sur le bord de la route du rire.


Jean-Philippe Blondel - La coloc (Actes Sud Junior-2015)
De belles retrouvailles avec Blondel, enfin ! Oubliée la déception d’Un hiver à Paris. Il y a dans cette coloc tout le Blondel que j’aime : sensibilité, justesse des rapports humains, humour.
Je pense que je préfère le Blondel pour ados au Blondel pour adultes; lui ne m’a encore jamais déçu.
Extraits


Damon Galgut - Arctic summer (Atlantic books-2014)
Galgut retrace, ou plutôt imagine, la vie d’E.M. Forster au sortir du succès d’Howard’s End jusqu’à la publication de A Passage to India.
Je ne suis pas avancé très loin dans le roman, mais jusqu’à présent, je passe un excellent moment, en Angleterre, puis en Inde, en compagnie de Forster et de Massood.
J’aime beaucoup comment Galgut nous fait ressentir les tourments intimes de Forster, ses relations compliquées avec sa mère, comment il se sent toujours en porte-à-faux avec les autres, principalement à cause de sa sexualité, mais aussi de ses convictions vis-à-vis de l’Inde et du colonialisme, et comment, malgré le succès critique de ses trois premiers romans publiés, il ne se considère toujours pas comme un écrivain.

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