Récap de juillet 2020

Jean-Luc Lagarce - Journal 1975-1990 (Les Solitaires Intempestifs, 2008)

Roland Barthes - La Chambre claire. Note sur la photographie (Seuil Gallimard Cahiers du cinéma, 1980)
Darrel J. McLeod - Mamaskatch. Une initiation crie (VLB, 2020)
David James Poissant - Lake Life (Simon & Schuster, 2020)
Matt Kindt - Mind MGMT [Rapport d’opérations 1/3] Guerres psychiques et leurs influences invisibles (Monsieur Toussaint Louverture, 2020)
Jean-Luc Lagarce - Journal 1990-1995 (Les Solitaires Intempestifs, 2008)
David L. Carlson & Landis Blair - The Hunting Accident. A True Story of Crime and Poetry (First Second, September 19, 2017)
Gabriela Cabezón Cámara - Pleines de grâce (L'Ogre, 2020)

George M. Johnson - All Boys Aren't Blue: A Memoir-Manifesto (Farrar, Straus and Giroux, 2020)

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Phénomène plutôt nouveau pour moi qui suis d’ordinaire tenté par ce que je peux dénicher sur les blogs, beaucoup de lectures (la presque totalité, en fait) de cette mosaïque mensuelle m’ont été inspirées par Instagram, sans pour autant qu’il s’agisse systématiquement de nouveautés.
Des suggestions piochées chez des bloggeuses/instagrameuses (La Chambre claire), des maisons d’édition (Mamaskatch ; The Hunting Accident ; Mind MGMT ; All Boys Aren't Blue), des auteurs (Lake Life) et des librairies (Pleines de grâce). Il n’y aura bien que la lecture des deux tomes du Journal de Lagarce dont je pourrais m’attribuer la paternité.



Ce Journal est d’ailleurs un coup de cœur absolu.
Alors même que j’en connaissais l’issue tragique, je me suis retrouvé hébété, la dernière page tournée, mon esprit résistant à l’idée que ça se finisse comme ça, à ce moment-là de la vie du dramaturge. Et pourtant, trois jours seulement après la dernière entrée de son Journal, Lagarce était emporté par le sida.
Je n'ai pas fini de digérer tout ce dont je me suis imprégné au cours de la lecture de ces mille et quelques pages. Il n’y a pas un jour depuis que je l’ai terminé sans que quelque chose me renvoie d’une façon ou d’une autre à ce Journal.
Extraits
Jean-Luc Lagarce - Journal 1975-1990 / Journal 1990-1995 (Les Solitaires Intempestifs, 2008)


Le témoignage de Darrel J. McLeod (Mamaskatch. Une initiation crie) sur son enfance au sein de la tribu crie et sa quête d'identité est également bouleversant. Une famille explosée, un père absent, une mère qui noie dans l’alcool les traumatismes qu’elle a gardés de son passage dans un pensionnat catholique. La misère, la violence, les abus sexuels. Ça aurait pu être glauque, c'est juste beau et lumineux.
Écouter ensuite l’auteur parler de son enfance avec Catherine Perrin, sur Radio Canada, de la perte de son identité autochtone, de sa culpabilité et de sa quête d’une façon si sereine, avec tant de résilience et de douceur, m’a ému tout autant.
Extraits
Darrel J. McLeod - Mamaskatch. Une initiation crie (VLB, 2020)
Mamaskatch: A Cree Coming of Age - Traduction de l'anglais (Canada) : Mary Frankland



La déception du mois viendra, une fois n’est pas coutume, de chez Monsieur Toussaint Louverture. Le synopsis de Mind MGMT (la manipulation mentale comme arme ultime, complot à l’échelle planétaire...) était très prometteur et je me suis laissé tenter malgré la couverture que je trouve affreuse (ça avait déjà été le cas avec Moi, ce que j’aime c’est les monstres, mais comme ça s’était merveilleusement bien terminé, je n'ai pas hésité !).
C’est très original dans la forme : une narration dynamique multiple, des sauts temporels, des informations sur les différents membres du Mind MGMT qui viennent s’intercaler sous forme de dossiers dans le déroulé de l’action, une foultitude de détails sous forme de notes et/ou de croquis qui grouillent dans les marges et les pieds de pages… On a vite fait de se perdre dans ce labyrinthe complexe et foisonnant, et ça fait partie du plaisir. J’ai aimé ça.
Le gros problème pour moi a été le dessin qui me laisse de glace. Déjà que j’avais un mal fou à trouver mon chemin dans le dédale paranoïaque des uns et des autres, il m’était impossible la plupart du temps de reconnaître les différents protagonistes, ce qui a ruiné mon plaisir.
Le second tome de la trilogie paraît en octobre. Je me tâte encore pour savoir si je vais replonger...
Matt Kindt - Mind MGMT [Rapport d’opérations 1/3] Guerres psychiques et leurs influences invisibles (Monsieur Toussaint Louverture, 2020)
Traduction de l'anglais (États-Unis) : Thomas de Châteaubourg


En revanche, toujours en matière de roman graphique, je dois un énorme coup de cœur au teaser pour la parution prochaine chez Sonatine de la traduction de The Hunting Accident. A True Story of Crime and Poetry, de David L. Carlson & Landis Blair.
Et contrairement à Mind MGMT, c'est la force et la beauté du dessin qui m'a séduit. J’ai trouvé le travail de Landis Blair si époustouflant que je n’ai pas pu attendre jusque octobre pour découvrir la traduction française.
C’est un pur joyau que ce livre, surtout donc par les dessins mais aussi par l’histoire, originale bien qu’un brin conventionnelle dans son traitement. Je ne serais pas surpris de me voir ressortir d’une librairie avec la version française en mains.
Extraits
David L. Carlson & Landis Blair - The Hunting Accident. A True Story of Crime and Poetry (First Second, September 19, 2017)


Là encore, je n’ai pas eu la patience d’attendre une prochaine traduction en français (qui ne manquera pas de venir bientôt, c’est évident) du premier roman de David James Poissant dont le recueil de nouvelles paru il y a quelques années, Le Paradis des animaux, avait été pour moi une vraie révélation.
Sans même rien avoir lu sur l’histoire, je me suis plongé (c’est le cas de le dire) dans Lake Life. J'ai d'ailleurs découvert que trois des personnages principaux étaient au cœur de La Géométrie du désespoir, une nouvelle du Paradis des animaux.
Comme chaque été, les Starling se retrouvent dans leur modeste maison de vacances, au bord du lac : les parents et leurs deux fils adultes: l'aîné venu avec sa femme, le cadet avec son conjoint. Mais cette année-là, dès les premiers jours, un accident tragique perturbe le séjour et va agir comme un révélateur des tensions qui couvent au sein des trois couples, mais aussi entre les différents membres de la famille.
J’ai retrouvé la délicatesse de l’écriture, la justesse des sentiments, la complexité des relations humaines, l’émotion à fleur de peau qui m'avaient emballé dans Le Paradis des animaux.
Une très belle lecture ternie par une fin trop « explicative » à mon goût, où les comptes des trois couples sont réglés l’un après l’autre. Dommage, mais pas suffisant pour réduire à néant tout le bonheur que j'ai eu à retrouver D. J. Poissant.
David James Poissant - Lake Life (Simon & Schuster, 2020)


À Luparju, je dois la lecture de La Chambre claire, essai de Roland Barthes sur la photographie. Si j’avais déjà entendu citer à maintes reprises auparavant cet ouvrage qui fait référence, je n’avais jamais encore osé m’y confronter. Je sais pertinemment que je n’ai pas les armes nécessaires pour m’attaquer à Barthes. Mais Luparju m’a assuré que j’y trouverai matière à réflexion, quoi que j'en comprenne.
Et effectivement, au-delà de la terminologie savante et des concepts philosophiques, c’est un texte émouvant (Barthes prend comme point de départ une photographie de sa mère, enfant, décédée peu de temps avant l’écriture du livre) qui interroge sur le medium photographie, sur le sujet photographié (qui il est, ce qu’il veut montrer de lui, ce qu’on voit de lui…), sur ce qui fait qu’une photo nous touche plus qu’une autre, sur l’instant saisi par la photographie, sur le fait que la photographie, à peine prise, dit de son sujet « qu’il a été » mais aussi qu’il est immortalisé par l’objet photographie, et donc sur le lien entre la photographie et la mort.
Très intéressant pour qui s'intéresse de près à la photographie, mais pas seulement.
La Chambre claire. Note sur la photographie (Seuil Gallimard Cahiers du cinéma, 1980)


Les Mots à la Bouche m’a mis sur le chemin de Pleines de grâce. Un voyage halluciné au son de la cumbia au cœur du divin le plus queer et du profane le plus cru. L’aventure épique et tragique du bidonville d’El Poso, à Buenos Aires, que Cleopatra, ancienne prostituée travestie touchée par la grâce d'une apparition de la Vierge, va ériger en communauté autonome.
Au milieu de la boue et des immondices, putes, trafiquants, voleurs et autres laissés pour compte de la société vont faire acte de résistance et s’unir pour donner un  sens à leur vie miséreuse faite de drogues, d’alcool, de violence et de sexe, mais autrement riche.

Parmi eux, Qüity, journaliste venue faire un reportage sur le phénomène Cleo et qui ne quittera le bidonville que forcée, comme tous les autres, par la force et les armes des autorités locales qui ne voyaient pas l'évolution de la villa d’un très bon œil.
Une très belle découverte. L'art dont certains font preuve à trouver le divin dans le plus trivial et à composer avec dieu m'a ému. J'ai adoré l'histoire et la langue de Gabriela Cabezón Cámara.
Savoir que ce roman initie une trilogie me ravit.  J’en profite pour revenir au passage sur le soin que les éditions de L’Ogre apportent à la maquette et à la fabrication de l’objet livre (que j’avais déjà signalé à cette occasion) qui participe au plaisir de la lecture d'un texte de cette qualité.
Gabriela Cabezón Cámara - Pleines de grâce (L'Ogre, 2020)
La Virgen Cabeza - Traduction de l'espagnol (Argentine) : Guillaume Contré


Enfin, j’ai quasiment terminé le témoignage de George M. Johnson, All Boys Aren't Blue: A Memoir-Manifesto, sur l'itinéraire d’un garçon noir, gay et efféminé.
Je ne sais toujours pas trop quoi en penser. Je n'arrive pas à identifier clairement ce qui me dérange dans ce livre. Je tourne autour mais impossible de mettre le doigt dessus. Peut-être les choses seront-elles plus claires dans ma tête quand je l'aurais terminé ou un peu plus tard quand tout aura décanté et que j'aurais pris un peu de recul. J'espère vous dire ça le mois prochain...


Voilà. J’ignore si vous aurez eu le courage d’arriver jusqu’ici. Au temps pour la tendance du micro-blogging et du fast-reading ! Ce n'est pas encore avec ça que je vais attirer le chaland.
Mais vu la direction que prennent les choses en ce moment, c’est la meilleure solution que j’ai trouvée pour concilier la raison d’être de ce blog (consigner mes lectures) et le désir de partage (en vous en livrant suffisamment pour, j’espère, vous donner envie).
En m’y prenant autrement, il y a de fortes probabilités que la plupart de ces livres auraient rejoint le tas des chroniques en souffrance qui ne cessent de s’accumuler depuis des mois et dont la plupart ne verront jamais le jour, j’en ai bien peur.
Dans les jours (semaines ?) qui suivent, je vais même essayer d’ajouter pour chacun de ces livres un lien vers les passages que j’ai sélectionnés. On croise les doigts ?

Commentaires

  1. J'ai tout lu M'sieur! Et tu me remets en tête l'essai de Barthes que j'ai envie de lire depuis longtemps! Merci pour les conseils et c'est bien aussi de faire parfois des textes plus courts.

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    1. Sur le tableau de bord n'apparait que le début du pseudo, à savoir Amandine Jamsin, et je me demandais bien qui étais cette jeune femme ! Ah, c'était le bon temps de Voyelle & Consonne, les Sonny & Cher de la littérature made in Belgium. Ça me fait plaisir de te voir (enfin !) ici, jeune homme.
      N'hésite pas à lire le Barthes. Toi qui es plus calé que moi, tu y trouveras d'autant plus matière à alimenter tes petites cellules grises. Bonne fin de vacances !

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  2. Quelle chronique passionnante ! J'en ressors avec l'envie de découvrir certains livres, je vais devoir attendre la sortie en français du David James Poissant mais j'ai bien noté Le paradis des animaux.

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    1. Si tu es friande de nouvelles, Le Paradis des animaux va te régaler. Et là, pour le coup, non seulement tu n'auras à patienter puisqu'il est traduit en fraçais, mais en plus il est aussi disponible au format poche ! 🤗

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  3. Quelle importance si tu n'attires pas le chaland, puisque nous on est toujours là, et qu'on te lit avec toujours autant d'intérêt !? Bon, trêve de suffisance, je suis très fortement tentée par Maskamatch et Pleines de grâce ! Et je note aussi Le paradis des animaux, j'ai besoin de refaire des provisions de nouvelles, j'en ai lu beaucoup en mai (je m'étais préparée au Mois de la Nouvelle, que Marie-Claude et Electra ont annulé) et il ne me reste plus qu'un ou deux recueils... La dèche, quoi !

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    1. Avec Mamaskatch et Pleines de grâce, prépare-toi au grand écart ! Mais chacune à leur niveau, ces sont deux lectures marquantes.
      Quant au Paradis des animaux, si je me souviens bien, Electra a été autant impressionnée que moi alors que Marie-Claude s'est montrée moins enthousiaste (à moins que ce soit le contraire, mais je te laisse vérifier par toi-même si jamais tu voulais avoir des avis complémentaires au mien).

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  4. Bonne solution que ces chroniques brèves mais efficaces !
    Je note le David James Poissant, j'avais beaucoup aimé ses nouvelles, avec un ton et un style bien particuliers... A ma grande honte je ne connais pas les autres livres/auteurs? sauf tout de même Roland Barthes dont les Mythologies ont été lues et relues et trônent dans un volume assez usagé dans mes étagères. Je note donc deux livres aujourd'hui.

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    1. Je te souhaite de belles retrouvailles avec Poissant. J'ai hâte de savoir ce que tu auras pensé de ce premier roman (et surtout de la façon de le terminer !).

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  5. De Lagarce, je ne connais que Juste la fin du monde, film de Dolan vu et pièce lue.
    Mind MGMT, me tentait beaucoup et depuis que je l'ai feuilleté plus vraiment...
    La Chambre claire, j'ai étudié ça à la Fac, dans un module "image et texte" je crois, j'en garde un souvenir flou à part une photo en particuliers.

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    1. Figure-toi que je n'ai appris que très récemment, au détour d'une recherche web, que Dolan avait adapté Juste la fin du monde. Ça m'était passé complètement à côté. Ça m'intéresserait assez de voir le film mais il faudrait que je lise la pièce avant (je ne garde que quelques flash souvenirs de la représentation que j'ai vue).
      Si ce sont les dessins qui t'ont retenu de te plonger dans Mind MGMT, je ne te serais pas d'un grande secours pour te faire changer d'avis.
      Sinon, Pleines de grâce pourrait te plaire, je pense.

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  6. J'ai l'impression qu'on finit tous par avoir recours au regroupement de billets de lecture.:) C'est une solution qui ne me séduisait pas trop au début (mais c'est surtout rapport à l'organisation de mon blog), et finalement je trouve ça très pratique, et en plus, j'ai toujours apprécié cette présentation chez les autres. Impressionnant tout ce que tu as lu en juillet ! Je vais regarder de plus près ce roman graphique, The Hunting Accident.

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    1. Là où la solution regroupement de billets ne me convient pas (déformation professionnelle, peut-être), c'est que dans le lot, il y aura forcément au moins un livre qui passera à la trappe pour chacune des personnes qui aura lu le billet dans son ensemble (et encore faut-il qu'elle soit allée jusqu'au bout !). C'est en cela que la formule 1 livre/1 billet m'est plus satisfaisante.
      C'est d'abord la beauté du trait et tout le travail que cela représente qui m'a bluffé dans The Hunting Accident. L'histoire est intéressante, aussi, ce qui ne gâche rien.

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  7. Merci pour cette chronique ! De mon côté, je suis plus que tentée par Mind MGMT et ça tombe bien car mon amoureux l'a acheté. Je dois d'abord terminer Moi ce que j'aime c'est les monstres de la même fabuleuse maison d'édition.

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    1. J'espère que ton chéri et toi serez plus séduits par Mind MGMT que je ne l'ai été.
      Il faut un début à tout : c'est ma première déception en provenance de chez Monsieur Toussaint Louverture (même si je m'en serais bien passé).
      PS : désolé j'ai supprimé ton commentaire par erreur. Mais j'ai pu le re-publier en me faisant passer pour toi (il ne manque que ton gracile avatar!)

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